Lewis Ofman avoue être un grand rêveur dans « Dancy Party » (Interview)

Heureusement qu’il nous reste l’art. Dans une ère où les enjeux ont tendance à tout phagocyter sur leur passage, il reste les artistes, les enchanteurs capables de nous ramener vers l’essentiel, l’émotion. Lewis Ofman est de cette trempe, un joueur mettant le rêve et l’émotion au centre de tout, ceci à la lumière d’un noble enjeu, l’expression de soi. L’histoire d’un passionné de musique foudroyé par sa rencontre avec le synthé. Très vite perçu comme la révélation de la scène électro, Lewis Ofman envoie du rêve depuis plusieurs années, aussi bien en solo qu’aux côtés d’illustres collaborateurs, de Vendredi Sur Mer à Rejjie Snow. Près de quatre années après Yo Bene, le talentueux artiste porte son « Melodic Groove » encore plus haut avec son nouvel EP « Dancy Party ».

(c) Louise Le Meur

INTERVIEW

  • Lewis, comment ça va ?

Ça va bien, je viens tout juste de déménager. J’étais dans le 18ème, je kiffais mais voir autant de gens dehors me donnait constamment envie de les rejoindre. Maintenant je suis dans un coin un peu plus tranquille, je peux m’intérioriser et rester focus.

  • Comment te sens-tu alors que sort ton nouvel EP ? Est-ce un soulagement, un aboutissement ou bien tu as l’envie d’enchainer tout de suite ?

Les trois ! C’est d’abord un soulagement parce que les chansons qui ont étés faites il y a un petit moment, elles devaient sortir plus tôt mais la covid est passée par là et nous a mis un gros coup d’arrêt. Je suis heureux car entre-temps j’ai fait encore bien d’autres chansons, sortir ce projet va me permettre d’accélérer ensuite pour pouvoir sortir des milliards de trucs.

C’est vrai qu’on a attendu pendant un moment pour être un peu plus sûr mais là je suis comme en indigestion tant j’ai plein de sons à partager. Parfois lorsque les gens découvrent ma musique ils tombent sur des sons qui sont sortis y a deux, 3 ans donc c’est frustrant. Là je peux enfin apporter de nouvelles choses, ce que j’ai en moi. Les chansons de cet EP me tiennent vraiment à cœur car elles représentent des rêveries que j’ai eues, des moments que j’ai imaginés et que j’ai voulu retranscrire en musique. Aujourd’hui je peux enfin partager tout ça donc je suis ravi.

  • Lorsque l’on parle de ta musique et qu’on l’écoute, ce qui revient souvent c’est l’émotion ; quelles sont les émotions qui ont dominé ce projet ?

La 1er c’était de vouloir montrer mon son, parce que justement avant de bosser ces chansons-là, je travaillais beaucoup avec d’autres artistes ; de fait, mon son s’éparpillait dans d’autres projets que le mien, et j’avais l’impression que mes propres projets étaient délaissés. Pour cet EP, je suis parti m’isoler à Barcelone pour me concentrer pleinement sur ce que j’avais envie d’exprimer en termes d’esthétique et comment je pouvais aller vers le son qui allait être le plus le mien, le plus sincère, le plus proche de moi. Cette quête passait aussi par l’étude d’artistes comme Picasso ou Joan Miró qui ont vachement fait cette recherche sur qu’est-ce que c’est que de faire l’art le plus sincère possible.

Cette force là je l’ai utilisée pour aller dépeindre des émotions que j’avais envie de retranscrire. Pour « Las Bañistas », par exemple, ce que j‘avais en tête c’était des soirées qu’on peut avoir sur le toit de petites maisons avec des petites guirlandes dans un petit village méditerranéen. Il est 22H, c’est l’été, le soleil vient de se coucher, il fait encore un peu chaud et là tu peux lancer la musique, tu sers les 1er cocktails, tu mets ce son là et tu commences à danser ! L’idée c’était de recréer cette ambiance là avec le son itself .

Les émotions de ce projet c’est à chaque fois de retranscrire les choses dont je rêve et de les recréer en musique. Pour la création de « Rainy Party » j’avais en tête une soirée dans un back garden à Londres, derrière un immeuble envahi par la pluie, il fait gris de ouf, il pleut et tu as ce son-là !

(c) Louise Le Meur
  • Tout est très précis donc !

Oui, à chaque fois c’est vraiment des émotions assez précises.

  • Peux-tu nous parler des singles « Attitude » et « Dancy Boy », qu’est-ce que ces deux titres représentent pour toi ?

« Dancy Boy » est assez important pour moi, parfois j’ai comme un dialogue interne avec un alter-égo qui dans ma tête est une espèce d’ancienne star américaine qui a raté sa carrière et qui me guide un peu dans mes choix, dans ma façon d’être et d’agir. C’est quelque chose qui est apparu quand j’ai fait « Dancy Boy », comme si c’était cette personne-là qui chantait. En pitchant ma voix sur le track, j’avais l’idée de mettre en scène un vieux monsieur qui chante cette chanson, un mec qui est cool de façon totalement naturelle, il respire simplement qui il est et c’est en ça qu’on le kiffe. Plus le temps a passé plus j’ai compris que ce personnage était en moi.

Avec ce morceau, je m’imaginais totalement un vieil homme en train de danser. Ironiquement c’est un jeune garçon qui incarne le « Dancy Boy » dans le clip (rires). Finalement ce n’est pas si mal, on peut faire le parallèle entre le fait d’être un petit enfant et un vieux monsieur, je trouve que les deux sont très proches au final.

« Attitude » je l’ai fait juste après « Las Bañistas », l’approche était purement calquée sur le swag (rires), tu l’écoutes tu te dis c’est frais. J’ai simplement commencé par le rythme qu’on entend au début, d’entrée je me suis dit qu’est-ce que c’est que ça ?! C’est un peu simple mais c’est cool ! La chanson a été menée comme ça , elle incarne le nom que j’aime donner à ma musique, le « Melodic Groove ». Au début, on est sur le groove où tout le monde bounce, et puis d’un coup tu as la mélodie qui arrive avec de beaux accords un peu rêveurs, ensuite on revient sur le groove puis on a le drop de fin où tout est rassemblé pour enfin donner le « Melodic Groove ».

  • Je suis d’accord, « Attitude » a quelque de super « boastful », tout comme « Dancy Boy » il m’a aussi fait penser au début du hip-hop, les films comme « Wild Style », « Style Wars » …

C’est exactement ça ! « Attitude » a énormément était influencé par « Style Wars », j’ai d’ailleurs placé quelques petits samples de voix venant du film. C’est un morceau qui a changé beaucoup de choses dans l’esthétique que j’imaginais de la musique, en rajoutant des sons plus durs, plus bruts. Pour « Dancy Boy », c’est intéressant, je ne m’en rendais pas forcément compte mais c’est vrai qu’il y a quelque chose des tout premiers DJ qui avaient l’habitude de parler sur les tracks.

  • Tu parlais du « Melodic Groove », ça me fait penser à une vidéo de toi à New York, où tu parles de « rêver en dansant », pour les gens qui bougent la tête mais qui ne dansent pas trop, qu’est-ce que la danse représente pour toi ?

Moi non plus je ne danse pas trop, je fais quelques moves par-ci, par-là mais il faut que je me sente bien pour les faire. Pour moi la fête, c’est des moments qui peuvent changer beaucoup de choses dans une vie. C’est des moments qui m’inspirent car c’est là que l’on rencontre de nouvelles personnes, tu vois de belles images.

Quand tu arrives dans une soirée, dans un appart’ tu vois tout le monde qui danse, tu es toujours un peu intimidé, tu as le gros son, les lumières éteintes, les filles et les mecs qui dansent, dans cette atmosphère il y a quelque chose qui fait rêver. Il y a cette partie et puis il y a juste le fait de danser sur un son que tu aimes, tu vois quelques personnes te rejoindre sur une musique que tu trouves magnifique, tu vis un moment qui est génial et tu le sais.

Le rapport entre la fête et le rêve est étroit aussi parce qu’on ne peut pas savoir comment va être une fête, une fête ne sera jamais la même, un rêve c’est pareil tu ne peux pas savoir de quoi tu vas rêver, et tu ne rêves jamais de la même chose, on ne se souvient jamais parfaitement d’un rêve comme les fêtes d’ailleurs on ne s’en souvient jamais parfaitement.

L’idée c’est ça, on ne sait jamais ce qui va se passer dans une fête et c’est en cela que c’est beau, les bonnes fêtes, j’insiste là-dessus (rires). L’idée quand je fais des chansons c’est de me fournir tout ça à moi-même, des chansons qui peuvent me faire rêver en dansant. Pour moi c’est ce qu’il y a de mieux au monde, ces moments où tu danses, où tu es tout simplement heureux.

Lewis-Ofman-Dancy
(c) Louise Le Meur
  • Les clips d’ « Attitude » et de « Dancy Boy » sont très liés, pourquoi ton choix s’est-il porté sur Atlanta ?

A la base je voulais aller à New-York pour rester dans le cadre « Style Wars », malheureusement on a très vite vu que ça allait être compliqué. Il se trouve que le réal (Julien Soulier) voulait faire un documentaire sur une équipe de roller-dance, il m’a donc proposé d’aller clipper là-bas et au même moment il m’a proposé l’idée d’un jeune danseur qui danserait sur tout un son, éclairé par un drone pour « Dancy Boy » ça s’est donc fait par des belles coïncidences. C’était vraiment cool Atlanta, c’était un sacré délire cette ville.

  • Vous êtes aussi allez au Cascade, un lieu mis en lumière dans un film comme « ATL » de T.I 

Ouais c’est un lieu assez mythique, aujourd’hui des artistes comme les Migos y vont souvent, on sent bien qu’il s’y passent beaucoup de belles choses. Après je t’avoue qu’Atlanta n’est pas une ville que je connais suffisamment ou dont j’ai spécialement rêvé, je dirais que ces deux clips donnent à la fois une très bonne illustration de ma musique mais aussi que cette illustration n’est pas totalement la mienne.

Typiquement, on a fait le clip de « Las Bañistas » il y a une semaine et là j’ai vraiment insisté pour être plus présent dans la réalisation. On est allé à Barcelone, là où j’ai créé les chansons, ça avait donc plus de sens et j’ai pu vraiment montrer ce qu’était mon inspiration. On revient d’ailleurs à l’idée de lien puisque l’on a aussi clipper « Siesta Freestyle » avec une chanteuse espagnole qui s’appelle Alicia. Là encore il y a une espèce de mix, deux clips, plus ou moins liés, dans la même ville. Bizarrement c’est quelque chose que je fais de lier les clips, je ne pensais pas que j’allais le faire mais c’est fun.

Lewis-Ofman-Synthé
(c) Louise Le Meur
  • On a souvent l’impression que quand les artistes créent, l’inspiration vient en deux mouvements, chercher et laisser venir, finalement cette vision pour « Attitude » et « Dancy Boy » est venue vers toi sans que tu la choisisses vraiment mais le résultat est fort ?

Absolument ! Le résultat est vraiment cool, mais tu vois c’est aussi intéressant d’apprendre et de se rendre compte que des fois on a envie d’insister pour vraiment faire quelque chose de personnel pour que les gens comprennent aussi qui je suis. Mais je ne regrette surement pas d’avoir fait ces clips, je les kiffe, ils sont super bien menés, seulement j’avance dans mon cheminement.

  • J’avais une autre compréhension du clip de « Dancy Boy », Quand je vois ce jeune garçon qui ne vit que pour la danse, qui rayonne dès qu’il s’exprime à travers son art, je m’étais dit qu’en cela ce « Dancy Boy » c’était toi ?

J’kiff beaucoup cette interprétation. C’est très beau comme ça, parce que c’est aussi comme ça que je vis. Je ne fais que de la musique, j’ai fait des études mais j’ai assez vite arrêté pour ne faire que ça. Parfois on se dit qu’on ne fait pas un métier « utile », mais la musique est aussi là pour nous faire rêver, c’est comme ça que je le prends.

Lewis OfMan (c) Kevin Buitrago
(c) Kevin Buitrago
  • A la fin du clip de « Dancy Boy » on entend un annonceur à la radio dire « Trap is dead, Dance is on », depuis je me demande mais qu’est-ce qu’il a voulu dire ?

Mais moi aussi ! (rires) C’est un texte qu’il a improvisé à la cool, à l’instinct ! Je t’avoue je cherche encore ce qu’il a voulu dire (rires).

  • Elle peut avoir tellement de sens cette phrase, ça peut-être le style « Trap », le piège ou même le coté plus sombre de la trap, notamment quand on prend « Cascade », les choses auraient pu mal tourner entre les deux équipes et elles s’affrontent finalement par la danse 

Je pense que ce serait plutôt ça en effet, c’est vrai qu’Atlanta est assez marqué par ça donc je pense qu’il a voulu parler de ça.

  • Quelque part ça me fait penser à ton clip « Flash » où les clubbers répondent à un terroriste par la danse et l’amour …

Il y a de la musique pour chaque émotion, quand tu es triste tu écoutes une musique ça te fait du bien, quand tu es en colère c’est pareil, ça adoucit les choses. La culture et l’art permettent ça, de relativiser, de calmer certaines choses qui grondent en nous. Je pensais au disque « What’s Going On » de Marvin Gaye c’est exactement ça ! Même dans la manière dont c’est composé, ça transmets une forme d’espoir doux.

single extrait de l’EP Yo Bene paru en 2017
  • Pour finir, que dirais-tu au Lewis Ofman de Disconsolate ?

Oh t’es chaud (rires) ! Je ne me suis jamais posé la question mais peut-être que j’envie l’insouciance que j’avais à cet époque. Je lui dirais : «  tu ne le sais pas mais en vrai tu es calé parce que tu fais ta musique comme ça, sur le tas ». Je découvrais ma façon de faire de la musique, c’était un moment qui était très beau. Je lui dirais aussi : « Tu vas voir on va bien s’marrer dans les années à venir » (rires). Surtout qu’à ce moment-là, ma musique je la faisais un peu pour séduire une fille et qu’après on est sorti ensemble pendant quatre ans, donc je lui dirais : « Mec franchement chill, c’est cool ! » (rires).

Alfred Dilou

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