Moments intimes avec Katie Gregson-MacLeod, Hermanos Gutiérrez et Tamino – Montreux Jazz Lab (08.07.23)

Vous le savez, chez Sounds So Beautiful une de nos missions c’est de faire rayonner des jeunes artistes émergents. 

C’est également ce que fait le Montreux Jazz Festival dans sa seconde salle payante, le Jazz Lab. Plus petit que l’auditorium Stravinski, le Montreux Jazz Lab met à l’honneur les jeunes artistes et les musiques alternatives. Une programmation variée et pointue qui nous permet d’assister à des concerts qu’on a moins l’habitude de voir à l’affiche des gros festivals d’été. 

Ce samedi 8 juillet 2023 on a rendez-vous pour une soirée de musique intimiste. Les auteurs-compositeurs sont à l’honneur. On ne vient pas pour danser mais pour fermer les yeux et écouter de la musique sensible et mélancolique. C’est l’heure d’assister à trois concerts d’une grande beauté. 

Katie Gregson-MacLeod, l’étoile filante de la bedroom pop

Cela ne fait qu’un an que la jeune artiste écossaise a débarqué dans le paysage musical. Tout commence en 2022 avec l’énorme buzz de sa chanson Complex sur Tik Tok. Quelques mois plus tard, la voilà déjà propulsée sur la scène du Montreux Jazz Lab. 

Ce soir c’est elle qui ouvre le bal tout en douceur. Elle va nous présenter son tout premier EP songs written for piano, sorti il y a à peine 6 mois. 

Pour vous décrire ce concert j’aimerais d’abord vous parler de l’assurance de cette jeune femme. Elle n’a que 22 ans, joue pour la première fois en Suisse, et vient seule sur scène pour nous partager son univers. Imaginez les tripes qu’il faut pour assurer un concert solo de cette ampleur avec si peu d’expérience. Katie semble imperméable à la pression.

Elle s’assoit derrière son clavier et démarre le concert éclairée par une douche de lumière bleutée. Elle dévoile son style avec la chanson I’m Worried It Will Always Be You, une ballade piano voix progressive. Le son est ample et la voix de la chanteuse monte doucement en puissance. 

Elle salue le public avec une spontanéité désarmante. Elle se présente en toute décontraction et brise la glace en évoquant ses cheveux en bataille, encore mouillés d’une baignade dans le lac une heure avant le concert. Entre chaque chanson, elle sirote son verre de vin rouge et nous raconte ses histoires de cœur. 

La chanson TV Show relate une conversation téléphonique de 20 minutes qui aboutit à une rupture. T’en fais pas Katie, ça arrive à tout le monde. Avec Second Single Bed elle parle de l’ambiguïté qui peut parfois se dessiner entre amitié, amour et attirance sexuelle. Elle se confie sur sa vie intime et nous avoue que c’est embarrassant pour elle. Mais peu importe, “we’re all besties here”. 

Le style musical de Katie est décrit comme de la bedroom pop. Et c’est tout à fait ça. On a l’impression d’être invité dans sa chambre d’ado pour partager les secrets de ses déboires amoureux. Les textes parlent de ses premières expériences de vie avec poésie et maturité. 

En milieu de set, elle s’empare d’une Telecaster Sunburst pour nous présenter en exclusivité des chansons qui ne sont pas encore sorties. Le son de ses petites rythmiques folk est clair et peu retouché. Sa voix joue sur la corde sensible mais ne s’épuise jamais. Son timbre grave et profond se brise en un instant dans des aiguës tout en contraste. De belles suites d’accords, de belles mélodies. Avec Katie pas besoin de plus.

Au terme d’un set charmant de 45 minutes, elle nous quitte avec son tube Complex. 

Ces prochaines années, il faudra garder un oeil sur Katie Gregson-Macleod, elle pourrait bien devenir la prochaine Adele. 

Hermanos Gutiérrez, voyage dans les grands espaces américains

À la pause, on discute avec Tom et Owen, deux amis irlandais en vacances en Suisse. Épuisés par un trek de 3 jours dans les Alpes, ils ont quand même fait le déplacement pour le concert des Hermanos Guttiérez et ne cachent pas leur excitation. J’avoue que j’ai tout aussi hâte qu’eux de voir la performance du duo. 

Alejandro et Estevan Gutiérrez sont deux frères à la fois suisses et équatoriens. Ils commencent leur carrière musicale en 2015, dans le sous-sol d’Alejandro à Zürich. Réunis par leur passion pour la musique western, ils vont alors composer des chansons pour cowboys sensibles aux ambiances sublimes.

Mis en lumière par le Montreux Jazz Festival l’année dernière à l’occasion d’une MJF Spotlight Session remarquée, les frangins reviennent cette année pour un set d’une heure sur la scène du Jazz Lab.

Les deux musiciens arrivent sur scène et s’installent sur des chaises perchées sur un praticable légèrement surélevé. Alejandro gratte les premiers accords et fait de rapides présentations. C’est parti pour le premier morceau du set, El Bueno Y El Malo. Le voyage peut commencer. 

Il n’y a que deux musiciens sur scène mais en vérité il y a cinq protagonistes. En effet les guitares deviennent des personnages à part entière dans l’univers des frères Gutiérrez. Elles sont leur seul moyen d’expression, ce sont elles qui parlent comme une extension de leurs âmes. Estevan manie une Gretsch G6120 orangée, tandis qu’Alejandro alterne entre une Silvertone 1446 vintage et une guitare slide argentée. 

Côté technique, tout est parfait. Les sonorités sont parfaitement travaillées et oscillent entre blues, musique latine et références western. Les frères s’échangent les différents plans de guitares. Tour à tour l’un joue la rythmique étouffée qui porte le morceau quand l’autre s’occupe des solos et des arpèges qui créent la mélodie – et vice versa. 

Pour étoffer leurs chansons en live, ils enregistrent des loops de guitares pour pouvoir ajouter d’autres lignes mélodiques par-dessus. De deux instruments on passe alors à quatre. Parfois Estevan profite de ces bandes enregistrées pour rajouter quelques coups de bongo.

Le jeu de guitare slide d’Alejandro tord les notes et donne cette couleur bluesy qui fait la signature sonore du groupe. Estevan quant à lui déchire des accords égrainés à l’aide du vibrato de sa Gretsch. 

Chaque musique évoque de grands espaces désertiques et poussiéreux, hantés par des cowboys solitaires, des fugitifs, des poètes vagabonds, des amoureux en cavales. Les guitares pleurent et nos coeurs aussi.

La musique des Hermanos Gutiérrez est si belle et envoûtante qu’un silence religieux règne dans le Jazz Lab. Personne n’ose faire de bruit pour ne pas troubler l’immersion totale et le sentiment de lâcher prise que l’on ressent en écoutant les deux frères peindre leurs tableaux. 

Le concert est une exploration de leur répertoire déjà si riche. Le morceau Hijos Del Sol raconte leur connexion spéciale avec le Mexique, ce pays dont ils sont tombés amoureux lors d’un long road trip entre frères. Inspirés par ces voyages en Amérique centrale ils ont composé l’album qui porte le nom de cette chanson en deux semaines seulement. 

La chanson Tres Hermanos est un hommage à leur ami Dan Auerbach, leader des Black Keys. C’est chez lui à Nashville, dans son studio et label Easy Eye Sound que leur dernier album fût enregistré et produit.

Le concert se termine par un dernier voyage avec le morceau El Desierto. Avant de commencer à jouer, Alejandro nous dit au revoir avec un discours humble et solennel :

“Nous voulons vous emmener une dernière fois avec nous dans notre paysage préféré : le désert. À chaque fois que nous sommes sur la route entre frères, on se perd dans le désert. Quand nous revenons nous sommes si inspirés, et nous écrivons de nouvelles chansons pour vous. Merci d’avoir choisi d’être avec nous ce soir”. 

On embarque donc pour une dernière aventure en leur compagnie. 

À vrai dire, on est bien content d’avoir choisi d’être avec eux ce soir. En festival, il est rare d’assister à des concerts entièrement instrumentaux. Ce show fait donc office de parenthèse hors du temps. Dans une industrie où la musique live se doit d’être un divertissement total, ce genre de moment semble aller à contre-courant. Et c’est précieux. 

Merci donc aux Hermanos Gutiérrez pour leur musique d’une rare beauté, et merci à l’équipe de programmation du MJF de nous donner l’occasion d’assister à des concerts de cet acabit.

Tamino, la beauté dans la noirceur de l’âme

En 2018, nous avions déjà eu l’occasion de couvrir un concert de Tamino au festival des Nuits de Fourvière à Lyon. À l’époque, il sortait tout juste Amir, son premier album et assurait la première partie de Ben Howard. Cinq ans plus tard, on le retrouve sur la scène du Montreux Jazz Lab et cette fois c’est lui la tête d’affiche de la soirée. L’occasion pour nous de constater l’évolution du jeune artiste de 26 ans et découvrir Sahar, son second opus sorti en 2022. 

La première fois qu’on a découvert sa musique, on le situait entre Jeff Buckley et Woodkid. Mais aujourd’hui les comparaisons sont vaines. Tamino s’est forgé un style unique qui mélange folk, rock, des influences orientales égyptiennes, et des orchestrations symphoniques. Dans la musique, quand on n’arrive pas à définir un genre précis, on dit souvent que c’est de l’indie ou de l’alternative. C’est donc l’étiquette qu’on collera au chanteur belge. Place au concert. 

Tamino arrive seul sur scène dans une atmosphère sombre. Une seule douche de lumière dorée éclaire l’artiste. D’entrée de jeu cette ambiance claire-obscure instaure un climat contemplatif. Le spectacle commence par A Drop Of Blood, un morceau d’inspiration orientale. Il nous surprend à jouer de l’oud, un instrument perse à 11 cordes qui est l’ancêtre du luth. Sur ces sonorités arabes, Tamino pose sa voix profonde et mélancolique.

Son groupe ne tarde pas à le rejoindre. La formation est composée de quatre musiciens : basse, batterie, violoncelle et un multi-instrumentiste qui alternera entre claviers et guitares. Le début du set est une compilation des meilleurs morceaux du dernier album.

The Flame commence dans un tonnerre de toms, et met en avant une mélodie instrumentale aux accents folk-rock. Mais comme dans beaucoup de compositions de Tamino, le morceau évolue en symphonie planante portée par les arrangements de violoncelle et les solos vocaux du leader. 

Pour son tube pop-rock Fascination, Tamino sort une Telecaster noire au son clair. La chanson est entrecoupée par des passages guitare voix qui contrastent avec des reprises énergiques où tout le groupe joue. Pour le plus grand plaisir des fans, le refrain ultra catchy résonne dans le Jazz Lab.

Tamino est agaçant de facilité. Tout au long du concert, il nous enveloppe de son timbre de voix grave et profond avant de partir dans des envolées aiguës à couper le souffle. Il semble sauter d’octave en octave sans effort particulier. Parfois sa voix sonne comme une complainte déchirante. 

Faut-il préciser qu’il est également très beau ? Sur scène, il dégage un charisme ténébreux et magnétique. Sous des sourcils froncés en permanence, son regard intense se perd dans le vide avant de nous transpercer.

Pour décrire les thèmes qui sont chers à l’auteur-compositeur, la description de la programmation du Montreux Jazz a visé juste : Tamino chante l’abandon, l’angoisse, mais aussi la romance et l’espoir. On l’imagine en poète torturé en train d’écrire ses textes à la bougie. Cette esthétique transpire dans chaque chanson. 

La deuxième partie du concert, le jeune chanteur revient à ses premiers succès. Notamment avec les deux morceaux profondément mélancoliques Indigo Night et Habibi issus de son premier album. 

Mention spéciale également pour la version live de W.O.T.H qui commence par une longue intro feutrée. Tamino fait parler les harmoniques de sa guitare avec un arpège endiablé. Le morceau évolue progressivement jusqu’à un déferlement jouissif de rock saturé. Le refrain est sublimement écrit et pourrait résumer ce que la musique de Tamino nous fait ressentir : 

“Your song fades in like morning

Your song creeps into my dawn

I shake when it takes me high

But the will of this heart won’t have me looking down”

Tamino termine le concert comme il l’a commencé : seul sur scène.

C’est un auteur-compositeur singulier dont la musique va chercher la beauté dans la noirceur de l’âme. 

On ressort du Montreux Jazz Lab avec un vague à l’âme paisible qui nous colle à la peau. Une soirée riche en émotions et pleine de sensibilité. 

Crédits photos : Montreux Jazz Festival, Lionel Flusin, Marc Ducrest, Thea Moser

Julien Portenguen

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