4 Bonnes Raisons d’Ecouter le King’s Disease II de Nas

Thankful I got through the day and all the evil I prayed offComposure

En trente ans de carrière, Nas aura connu une trajectoire aussi riche et vertigineuse que celle de son genre musical. Débuts mémorables, succès critiques, succès commerciaux, fautes de goûts, chutes et renaissances multiples.

Trente ans et un statut de légende incontesté, si bien qu’on peut se demander comment, après tant d’années, Nasir Jones peut-il encore ajouter à sa légende ? Comment, dans un genre qui déifie aussi vite qu’il peut terrasser ses idoles, rester pertinent là ou d’autres légendes peinent à susciter l’intérêt autour de leur nouveaux efforts ?

Éléments de réponse avec King’s Disease II.

1) Nas Corrige certains points noirs d’une carrière

Toute personne familière avec la musique de Nas sait que sa carrière ne s’est pas construite sans accrocs et que pour tout son talent il est une tare qui ressurgit régulièrement : la direction artistique. Pour beaucoup son talent d’écriture est parfois gâché par des choix de beats hasardeux. Paradoxalement, le représentant du Queens a pratiquement lancé sa carrière en avant-gardiste, en conviant les meilleures producteurs de la Grosse Pomme à la création du bijou Illmatic (1994), là où bon nombres de MC bossaient avec un producteur attitré. Derrière It Was Written (1996), l’exceptionnel a bien souvent côtoyé le quelconque, ceci même en compagnie d’architectes de renom.

Lorsque Kanye West se charge de lui produire un album cela donne un NASIR (2018) tout à fait désincarné. C’est finalement avec Hit-Boy, ex-protégé de Kanye West, que Nas trouve un partenaire en mesure de lui offrir une direction artistique claire et cohérente, probablement la plus aboutie depuis Life Is Good (2012). Déjà remarquable sur le premier volet, Hit-Boy montre davantage son éclectisme sur King’s Disease II. Entre sonorités soul, trap et dessins protéiformes (« Rare »), le producteur – qui y va d’ailleurs de son couplet sur le jazz de « Composure » – donne, autour de Nas, un tout autre cachet à sa musique.

2) Le MC trouve de nouveaux ressorts

Tout au long de sa carrière, l’adversité a semblé être le seul ressort permettant à Nas de retrouver de sa superbe. A l’entrée du 21ème siècle, le MC est bouleversé par la maladie de sa mère, chahuté par les critiques et attaqué par Jay-Z. Presque enterré par le public, les magazines et par la radio Hot 97, Esco répondra coup sur coup avec Stillmatic (2001) et God’s Son (2002).

Dix ans plus tard, c’est son divorce, pénible et médiatisé, avec Kelis qui lui inspire le superbe Life Is Good. Sur KD2, le rappeur n’a pas besoin d’un catalyseur, d’un concurrent ou de braver des vents contraires. Mieux, l’adversité appartient au passé, notamment, avec « Death Row East », récit-immersion dans le brûlant contexte East Coast/ West Coast dans la fatidique année 96 où Tupac et Suge Knight projetaient des signatures à l’est, comme pour planter le drapeau du sulfureux label en territoire ennemi.

Pour le reste, Esco, semble se suffire à lui-même, à l’image de la quiétude de « Brunch On Sundays », le rappeur trouve de nouveaux ressorts en lui-même à travers son expérience et une forme de force tranquille, il ne s’agit plus pour lui de se battre pour le trône de NYC où de retrouver la furie du jeune MC clamant avoir frappé Jésus à l’âge de 12 ans. Si la fougue des jeunes années n’est plus, l’aura reste intact. Malgré les facilités au détour de quelques lignes, l’efficacité et la justesse d’écriture subsistent, elles permettent au rappeur de dérouler avec autorité tout le long du projet.

3) Voir Nas briller puis évoluer avec ses forces

Storytelling, sens de l’observation, imagerie, autant de qualités qui ont faites la réputation de Nas. Aujourd’hui encore il est capable de décrire avec précision une ou deux scénettes tout droit sorties des rues New-yorkaises de sa jeunesse. Entre le soir où ses parents se sont rencontrés, les souvenirs dans Queensbridge Park, son frère Jungle qui rencontre Muhammad Ali, KD2 offre une panoplie de vignettes narrées avec le sens du détail propre au lyriciste de Queensbridge, elles nourrissent un thème qu’il a certainement traité mieux que les autres : la nostalgie.

De « Memory Lane » à « Surviving The Times », en passant par « 2nd Childhood » et autres « Remember The Times », Nasir Jones le nostalgique est apparu de mille et une façon, à chaque époque de sa carrière, laissant, souvent, échapper le regret du temps qui passe, le malaise face au moment présent, voir le sentiment de culpabilité de ceux qui s’en sortent. Cette ode aux souvenirs scandée par le beat du soulful « Store Run » trouve un écho saisissant dès le track suivant lorsque Nas assène ce fameux : « Moments you can’t relive ». Pièce centrale de l’album, « Moments » s’inscrit dans la lignée des grands titres nostalgique du MC en apportant une nuance majeure. Peut-être pour la première fois, le rappeur semble apprécier l’instant présent, instant qui ne souffre plus de la comparaison avec un passé qui est belle et bien derrière lui, aussi beau et romancé soit-il dans son esprit.

« What it feel like to go missing ? » Nobody

La grande réussite pour Nas sur KD2 c’est d’avoir su utiliser ses points forts pour mettre en exergue la vie qu’il mène et l’homme qu’il est aujourd’hui. De fait, lorsqu’il retrouve Ms. Lauryn Hill sur « Nobody », c’est pour reprendre la discussion entamée il y à trois décennies sur « If I Ruled The World ». Évoquant désormais les affres de la célébrité, de l’industrie musicale et le désir d’anonymat, les deux artistes, qui se sont toujours compris, s’appuient sur une production épurée pour livrer leur sensibilité actuelle et répondre à certaines polémiques (en ce qui concerne Ms. Hill).

On retrouve la même logique d’authenticité dans le côté conceptuel du MC. Plus jeune, il donnait vie, affect et sentiments à une arme à feu, aujourd’hui – assisté brièvement par la figure désormais mythique de Nipsey Hussle – il fait de l’Homme, de la Femme et de l’Enfant, les chapitres de son livre saint. L’ecclésiastique « My Bible » symbolise à lui seul la perpétuelle aspérité du MC à transmettre à travers ses récits.

4) Nas embrasse la nouvelle génération

« My whole career, I steered away from features
But I figured it’s perfect timing to embrace new leaders
» Moments

Ceux qui ont raillé Nas pour son côté donneur de leçons seront peut-être plus indulgents avec cet opus. En effet, si Esco se place toujours dans une optique de transmission, il est certainement un peu plus juste et moins maladroit que par le passé dans les messages qu’il veut véhiculer. Prenez le deuxième couplet de « My Bible » ou les mots de Shaka Senghor sur l’outro de « Composure », l’album est parsemé de jewels.

Cependant, ce lien que Nas tisse avec la nouvelle génération n’est pas à sens unique. Comme si le temps et l’expérience l’avait rendu plus ouvert et moins condescendant, Esco ne se place plus seulement dans la peau de « master teacher», bien au contraire. A travers le duo qu’il forme avec Hit-Boy, Nas prouve qu’il se veut à l’écoute et qu’il a aussi à apprendre de nouveaux leaders. Ce pont, déjà amorcé sur le premier volet, se traduit de façon toujours plus concrète esthétiquement.

Dans la palette proposée par le producteur, le rappeur sort de sa zone de confort, adoptant aussi des sonorités trap, d’une part aux côtés de YG et A Boogie With Da Hoodie sur « YKTV » et de manière certainement plus remarquable sur « 40 Side ». Ce que l’on peut aussi imputer à Hit-Boy, c’est la construction très précise de certains morceaux. Aussi les apparitions de pontes actuels comme Lil’ Baby, BJ The Chicago Kid ou Don Toliver (« The Pressure », « Death Row East »), insufflent quelque chose de rafraîchissant à la proposition du duo, que ce soit à travers des chœurs, des refrains ou quelques ad-libs.

Ce sont des traits que l’on peut apercevoir dans la musique d’un Kanye West qui a l’habitude de distiller ces « petits » rôles, même, à des artistes de renom (ex : Young Jeezy sur Can’t Tell Me Nothing). Avec ce qu’il a pu recevoir dans ce cadre, il faut espérer que Nas ait de nouvelles pistes à exploiter par la suite. Ceci dit, tout porte à croire que ce duo à encore des choses à délivrer.

Rester sûr de sa force, être ancré dans une vision, voilà ce qu’il fallait finalement à Nas pour briller de nouveau. Les grands instants de ce deuxième volet de King’s Disease, « Moments » en tête, réalimente l’immense récit dessiné au long cours par le prodige du Queensbridge. Assez pour renouveler l’appréciation que l’on se fait de son œuvre ? Nas Is Good.

Alfred Dilou

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