Jazz A Vienne 2019 – La Fête A La Créolisation… En Attendant La 39e Edition
“Le jazz émeut la planète entière parce qu’il est principe d’improvisation du «tout-monde».
Les langues créoles et les musiques de jazz sont des traces frayées par une Amérique qui s’invente.
Toutes les cultures du monde sont invitées à cette fête de la créolisation.” – Edouard Glissant
L’an dernier, des festivals dans la région Auvergne Rhône-Alpes proposaient de nouvelles programmations musicales selon une direction artistique propre à la tendance du jazz actuel : un jazz ouvert au monde et métissé de bien des couleurs.
Parmi ces festivals, on comptait le Festival du Péristyle, proposé par Oliver Conan, pour l’Opéra Underground. Ce programmateur, venu tout droit de New York, a osé briser les codes d’un jazz conservateur et traditionnel, pour ouvrir les frontières à cette musique. C’est ainsi qu’il permit la rencontre sous un même toit entre l’ethio-jazz, maloya, et influences latines (Brésil, Colombie).
Cette année, c’est au tour de Jazz à Vienne de venir célébrer ce métissage musical, avec le soutien fort des structures du territoire permettant de proposer chaque année de grands concerts et des rendez-vous inédits.
Ce 20 mars dernier, Benjamin Tanguy présentait à Lyon, au Théâtre Odéon, non seulement la programmation Jazz à Vienne 2019, mais aussi le parti pris de la direction artistique de cette 39e édition : “Nous souhaitions cette année célébrer les chants et les voix de luttes, les influences réciproques de la musique sur les mouvements de contestations.”
En 2018, sa programmation prônait déjà les influences réciproques entre les nouvelles générations et celles plus traditionnelles, plus précisément entre hip-hop et jazz. Ce qui a permis l’apparition inespérée d’icônes du hip-hop comme BLACK STAR avec Yasin Bey (Mos Def) et Talib Kweli, lesquels n’ont jamais caché leur amour du jazz, bien au contraire !
Chose plaisante donc avec Jazz à Vienne, chaque édition vise à faire sens.
La 38e édition se voulait de rapprocher les générations entre elles, tout en prônant l’évolution et la modernité au travers des âges et des pages de l’Histoire.
La 39e édition, elle, se veut de remettre au devant de la scène les racines du jazz, dont la musique est “un inattendu créolisé”, d’après l’écrivain et poète Edouard Glissant.
Dans un entretien avec Le Monde, où il parle de créolisation et d’identité-relation au niveau national, tribal et ethnique, il développe :
“L’archipel caraïbe s’étend jusqu’à la côte colombienne de l’Amérique du Sud et la grande ville de Cartagena, atteint la Floride et la Caroline, et regroupe une quantité d’îles de toute taille. Tout au long de cet archipel, on a assisté à une intense diffusion de la colonisation européenne, puis la colonisation de tous par tous, ce qui a nourrit la créolisation et ses surprises à répétition. […]
Les Américains du sud des Etats-Unis ont vécu là-bas, ils ont adopté le style de vie des îles, ils se sont installés à Porto Rico, aux Bahamas, à Grenade. Ils ont été confrontés à des Noirs, des Espagnols, des Français, des métis, ils se sont créolisés. Ce ne fut pas une américanisation pour autant. Voyez l’incroyable richesse des musiques caraïbes depuis le jazz latino, en passant par le zouk, le reggae, le steel band, la salsa et le “son” cubain, etc, sans compter les nouveaux mélanges salsa-reggae, merengue-jazz.”
Edouard Glissant n’était pas le seul à parler de créolisation. Raphaël Imbert aussi, adresse ce sujet dans sa musique et ses collaborations artistiques.
Rencontré aux Nuits de Fourvière 2017 pendant les Nuits Blues, il est programmé à l’ouverture du Festival de Jazz à Vienne, le 28 Juin pour présenter une toute nouvelle création, Up Above My Head, aux côtés de Sandra Nkaké, Camille et raphaël Lemonnier.
Pendant,16 jours, vous aurez droit à 250 concerts, dont 200 gratuits.
Dans une humeur festive, conviviale et chaleureuse, vous participerez à un condensé de styles musicaux qui commémorent dans la joie lutte sociales, raciales, économiques et même écologiques. Sonorités reggae, zouk, boléro, mambo, rumba, calypso, kompa, biguine… sont au rendez-vous.
En attendant, remémorons-nous les meilleurs souvenirs de l’an passé, de Glasper, à Cory Henry, ou encore Tank & The Bangas.
R+R=NOW
ReflectRespond=Now prend tout son sens en live. Collagically Speaking emploie un néologisme et désigne la façon de s’exprimer par le libre collage d’éléments différents. Le projet, regroupant 6 musiciens d’horizons différents, incarne manifestement cette idée.
TANK & THE BANGAS
Leur set est aussi intense qu’il est court – 1h de jeu seulement. Le parti pris est donc de miser sur la folie et l’énergie du groupe, quitte à estomper les teintes plus rosées du groupe, au profit de couleurs plus sombres. Ceci dit, le concert reste à l’image de leur art (et de leur démence).
Norman Spence installe un décor ténébreux, tapis derrière ses claviers, avec Merell Burkett et son moog.
Dans un tel décor, les Bangas prennent plaisir à reprendre un titre de Kendrick Lamar, – untitled07– extrait de son album Untitled_Unmastered, un album tout aussi sombre. Intéressant par ailleurs de constater l’influence du rappeur sur la chanteuse dans sa gestuelle sur scène.
Outre ces derniers souvenirs, on s’impatiente déjà de venir découvrir le nouveau show de Snarky Puppy, apprécier l’énergie de KOKOROKO, et admirer la classe de Diana Krall, qui rappelle celle de Melody Gardot.
SNARKY PUPPY
Issu des bancs de l’université du North Texas, star du net emmené depuis 2004 par le bassiste Michael League, Snarky Puppy est donc ce collectif à géométrie variable, ce gang cosmopolite dont les membres viennent des États-Unis, du Canada, d’Argentine ou de Porto Rico. Cette richesse culturelle est ici au service d’un jazz fusion incendiaire, raffiné et funky, servi par des solistes de haut vol. Cette musique luxuriante et déhanchée s’adresse à la tête comme aux jambes. Leurs orchestrations constituent régulièrement un écrin de luxe pour des invités tels que Lalah Hathaway, David Crosby ou le guitariste Charlie Hunter. Xavi, premier extrait de l’album Immigrance tout juste paru, est une pièce transcendantale inspirée par la rencontre avec Hamid El Kasri (maître du guembri) au festival Gnaoua d’Essaouira (Maroc). Après la parution du live 17, un quadruple vinyle de dix-sept titres capturés dans dix sept villes différentes, deux ans après avoir défendu le très latin Culcha Vulcha (2016), douzième album studio des Pups qui suivait lui-même l’incontournable Family Dinner 2 (2014), le collectif s’est donc retrouvé en studio pour Immigrance (2019). Plus engagé que son prédécesseur, le disque célèbre la multiculturalité et relance le collectif sur les routes. « L’idée générale est que tout est fluide, en mouvement, et que nous sommes tous dans un état d’immigration permanent.»
La même journée, sur la scène de Cybèle, vous pourrez retrouver Jasual Cazz, nouvelle formation en pleine émergence dans la région Auvergne Rhône-Alpes, lauréat du dernier tremplin du Festival Un Doua de Jazz.
Le groupe cite aussi Snarky Puppy dans leurs inspirations. Et, Amwin La est la track qui le rappelle le plus. Néanmoins l’écriture est riche et bien nourrie. Le claviériste installe un décor spatial assombri d’abyssales lignes de basse en introduction. Le toucher des cymbales suggère une légèreté, et progressivement, évolue-t-on vers un nouveau paysage, plus lumineux, apaisant et réconfortant. Un prochain mouvement déclenche une nouvelle course, insuffle un nouveau rythme, inspire de nouvelles émotions.
DIANA KRALL
The Very Best of Diana Krall paraissait en 2007. La compilation établissait alors le bilan de quinze années d’une carrière internationale rayonnante. Douze ans plus tard, après l’embardée pop de Wallflower (2015), Diana Krall revient s’abreuver à la source. Pour preuve, déjà, ce Turn Up The Quiet (2017), son quinzième et dernier album en date qui rendait un hommage appuyé à la tradition du Great American Songbook. La production était alors signée par Tommy LiPuma, le légendaire chirurgien de la note bleu qui, après avoir collaboré avec Miles Davis, Al Jarreau ou George Benson et juste avant de disparaître (en mars 2017) aura pris le temps de ciseler un écrin sonore à la voix et au piano de Diana Krall. Solide pianiste de combo, la star venue du grand Ouest canadien est aussi une meneuse. Sa marque de fabrique reste ce sens inné du tempo affiné auprès de ses mentors Ray Brown et Jimmy Rowles. Dès The Girl in the Other Room (2004), elle s’approprie les compositions originales de son mari Elvis Costello et un camaïeu de madeleines pop des années 60 et 70. Aujourd’hui, de I’m Confessin’ à Night and Day, Diana Krall revient aux fondamentaux.
KOKOROKO
Kokoroko Afrobeat Collective est un tout jeune groupe basé à Londres, dirigé par la trompettiste Sheila Maurice-Grey et constitué de huit musiciennes et musiciens britanniques. « Issus de la grande ceinture londonienne, nous nous sommes spécialisés dans une forme de soul jazz cuivré, largement épicé de nos racines africaines et caribéennes », précise la chef Sheila. Comme leur nom complet l’indique, le médium naturel utilisé par Kokoroko (« Sois fort ! », en yoruba) est l’afrobeat nigérian. Les principales influences, avec lesquelles ils ont grandi et sur lesquelles leurs parents ont également vibré, viennent de Fela Anikulapo Kuti, Ebo Taylor, Tony Allen ou de la musique highlife. On découvre d’abord Kokoroko sur la compilation Out Here (2018) qui met en avant la nouvelle génération du jazz britannique. Leur titre Abusey Junction explose ensuite les compteurs des plateformes de streaming. Les compositions essentiellement instrumentales de Kokoroko ou leur reprise du Colonial Mentality de Fela (Live at Sofar London, 2016) séduisent un auditoire en constante progression. La liberté du jazz habite ici la guitare, le Rhodes et surtout, devant, cette section de trois cuivres entièrement féminine menée par Sheila Maurice-Grey. Cette section de princesses coiffées du gele (foulard répandu du Nigéria au Ghana), campées fièrement en front de scène, fait l’originalité de l’octet londonien.
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