Montreux Jazz Festival nous ramène aux sources de l’Americana avec Bastian Baker et Chris Isaak (02.07.23)

Ce dimanche 2 juillet 2023, le Montreux Jazz Festival nous a offert un remarquable road-trip au cœur des racines de l’americana. Ce genre de moment qu’on ne peut vivre qu’à Montreux. Retour sur ces deux concerts pas comme les autres.


Je suis dans le train qui m’amène de Lausanne à Montreux. Comme à chaque fois j’admire la vue magnifique qui plonge sur la Lac Léman, les Alpes en toile de fond. Mais ce soir, ce trajet a une saveur particulière : c’est ma première soirée de l’été au Montreux Jazz Festival.

Voilà le début de deux semaines de musique dans un cadre de rêve. 

Arrivé sur place, je me balade au bord du lac où s’amassent déjà depuis trois jours des milliers de festivaliers. C’est l’effervescence. Une énergie particulière se dégage dans les rues noires de monde. Pour rejoindre le 2m2c – l’immense complexe où se trouvent les deux scènes payantes du MJF- je me faufile sur les quais, à travers les stands de nourriture et les nombreuses scènes gratuites. 

Ce soir j’ai rendez-vous à l’auditorium Stravinski pour passer la soirée en compagnie de Bastian Baker et Chris Isaak. Laissez-moi vous raconter.

Bastian Baker : la pépite de la pop acoustique helvétique

Je dois vous avouer qu’avant de m’installer en Suisse je ne connaissais pas Bastian Baker. Pourtant ici c’est une vraie star. Il est le digne représentant de la pop acoustique helvétique. Peu de temps après mon arrivée à Lausanne j’ai vite entendu parler de lui, une amie m’avait raconté sa success story fulgurante.

Aujourd’hui, c’est donc l’occasion pour moi de rencontrer le personnage et de découvrir sa musique en live.

Ce soir c’est lui qui ouvre les festivités à l’auditorium Stravinski. Les fans remplissent la salle et sont parés. Je remarque une atmosphère locale. Le public suisse s’est en quelque sorte approprié Bastian Baker et venir le voir sur la plus prestigieuse des scènes du Montreux Jazz est une fierté. 

Au détour de conversations, chacun y va de sa petite anecdote :

“Je me rappelle encore quand je l’ai vu sur scène tout jeune à un concert de fin d’année à l’école”.

Les gens du coin ont été témoins de l’évolution de la carrière de Bastian, ils ont tous une histoire personnelle avec ce jeune artiste de 32 ans. 

Dans une atmosphère sombre et bleutée, le concert commence par des nappes de synthé qui habillent une intro portée par un duo de cordes. La batterie fait monter la sauce avant de laisser respirer la première rythmique de guitare de la soirée. Bastian Baker a choisi de débuter par le morceau Tomorrow May Not Be Better, tube éponyme de son premier album sorti en 2011. 

On découvre l’étendue de la formation. Sept musiciens soutiennent l’artiste : Basse, batterie, guitare électrique, un synthé et une choriste qui rajoute des rythmiques au tambourin. Un violon et un violoncelle ponctueront le concert de leurs interventions bien orchestrées. Et bien sûr Bastian, leader charismatique, à la guitare rythmique et au chant. 

Mention spéciale pour les harmonies vocales chantées par cette choriste remarquable et le lead guitariste. Tout au long du concert leurs chœurs habilleront les chansons et apporteront profondeur et peps aux mélodies. 

Petit clin d’œil également à Matthieu Trovato, perché sur un promontoire en fond de scène, tout sourire derrière son synthé. J’ai eu l’occasion de travailler avec lui dans le cadre d’une live session pour son association lausannoise Collectif 52. Ce musicien talentueux est aussi un acteur passionné de la scène culturelle suisse romande. Belle surprise de le voir ce soir sur la scène de Montreux au côté de Bastian Baker.

Ce qui frappe tout de suite dans le début de concert, c’est la volonté d’embarquer le public d’entrée avec des chansons énergiques. La première partie de la setlist sera résolument up-tempo et teintée de mélodies feel good. Je pense notamment aux morceaux So Low et Stay avec leurs refrains ponctués de “oh-oh-oh-oh”. Imparable pour faire chanter le public. La couleur musicale de Bastian Baker est un parfait mélange entre pop, folk et country. Le tout mit en valeur par des arrangements modernes qui rendent sa musique rafraîchissante et actuelle.

Après la quatrième chanson, Bastian prend un instant pour “imprégner ce moment dans sa mémoire”. Il revient rapidement sur son histoire : ses débuts de musicien à Villeneuve (ville voisine de Montreux), sa rencontre avec Claude Nobs il y a 12 ans, son premier live sur la scène de l’auditorium Stravinski en 2012… À Montreux, le vaudois d’origine est à la maison et reconnaît sa chance de pouvoir partager ce moment avec son public. D’ailleurs il enchaîne avec son titre Lucky.

La ballade Dancing Without You nous emmène dans une partie plus douce de la setlist. Pour le morceau Five Fingers, Bastian Baker nous offre un moment intimiste. Accompagné seulement de son guitariste et de sa choriste, il balance son hymne à l’amitié dans un style bluegrass qui fait la part belle aux harmonies vocales.  

En parlant d’hymne, les morceaux All Around Us et The Way It Is sont de véritables blockbusters pop. Taillées pour faire chanter des salles en chœur, ces deux chansons emportent le public qui célèbre à gorge déployée à la fin de cet interlude. 

Alors que tout le monde s’égosille, l’équipe technique en profite pour ramener un piano à queue au centre de la scène. Planned It All prend la forme d’une parenthèse piano voix, où le duo de cordes s’illustre encore une fois. 

C’est bientôt la fin du set, l’heure est à la fête. Sur le morceau 79 Clinton Street, le groupe fait sauter toute la salle. Bastian joue ici d’une interprétation nonchalante et parlée qui donne un certain flegme agréable à la chanson. 

Le concert s’achève et c’est l’heure de dire au revoir au public. Avant de conclure en apothéose avec deux dernières chansons, Bastian Baker revient sur l’expérience unique qu’est le MJF. À chaque fois c’est particulier : “À partir du moment où on a confirmé, j’ai commencé à dormir Montreux, manger Montreux (…) Franchement j’étais un petit peu tendu avant de venir sur scène ce soir mais vous avez rendu ça magnifique” 

Ces quelques mots résument bien le concert. Un moment de communion entre cet artiste et son public. Des retrouvailles à la maison. Et quelle belle maison. 

Chris Isaak :The Original American Boy

Un changement de plateau et une bière plus tard, c’est au tour de Chris Isaak de s’emparer de la scène de l’auditorium Stravinski. 

La scène s’illumine de lumière blanche tamisée et une bande-son résonne : des cuivres dans un style big band fanfaronnent avant de retomber et de laisser place au silence. 

Quatre coups de baguette raisonnent et les premières paroles arrivent : “I’m the original american boy”. 

Le ton est donné et le groupe commence avec un blues rock traditionnel.

On découvre le tableau : cinq vieux briscards de l’americana prêt à en découdre. Ils portent tous un costume noir à paillette pour faire honneur à l’esthétique country qu’on aime tant. Glamour et kitsch à la fois. Au milieu de la scène Chris Isaak brille de mille feux en crooner décontracté. Son costume à lui est orné de motifs floraux. C’est bien sûr celui qui scintille le plus. Sur la sangle de sa Gibson demi-caisse blanche on distingue “CHRIS” écrit en gros caractères. Les instruments des musiciens arborent eux aussi des paillettes. Chaque élément de style est soigneusement travaillé. 

Le groupe enchaîne les deux premières chansons puis Chris Isaak salue le public pour la première fois. Je suis frappé par son discours d’introduction. Le mec est humble et drôle. Il enchaîne les vannes, remercie le public d’être venu voir son beau costume. Il dit que sans nous il serait en train d’errer au bord du lac Léman et les passants le prendraient pour un patineur artistique égaré. 

Du haut de ses 40 années de carrière, sa vingtaine d’albums, il se déclare “semi-professional entertainer”. Venant d’une légende de la musique américaine, ça a de quoi faire sourire. On a l’impression de rencontrer un vieux copain qu’on a écouté toute notre vie, un gars accessible. 

Cette proximité avec le public se confirme dans l’instant qui suit. Chris Isaak surprend son monde et descend se balader dans l’auditorium pour deux chansons. Au contact des fans, il interprète d’abord Waiting, puis comme un clin d’œil Don’t Leave Me On My Own. De retour sur scène, il s’amuse. “Vous êtes vraiment différent d’une foule américaine. Plus civilisés. Si je fais ça chez moi, les gens me poussent et me touchent”.

Il enchaîne avec une autre anecdote scénarisée qui débouche sur une morale : “Sometimes you do thing in life not because you’re great at doing them, but because it comes from your heart”. Ainsi il introduit un prochain élément scénique. Ce soir sur la scène du Montreux Jazz, ses musiciens vont s’essayer avec humour à quelques chorégraphies. Mêlant déhanchés et pas de côté, le bassiste Rowland Salley et le lead guitariste Hershel Yatovitz balancent le manche de leur instrument de haut en bas, de gauche à droite. Ces jeux de scène se répèteront d’ailleurs tout au long du concert.

Autre surprise du début de set : l’arrivée précoce du morceau Wicked Game. Tout le monde est là pour entendre cette chanson, mais d’habitude les rockstars attendent les derniers instants du concert pour envoyer leur meilleure cartouche. Pas Chris Isaak. Le tube interplanétaire résonne dans l’auditorium dès le 6ème morceau. Une spectatrice à côté de moi plaisante : “Ça y est, je suis toute mouillée”. 

Dès les premières notes de guitares pleurnichardes, le charme du morceau opère sur tout le monde. Le crooner démontre qu’à 67 ans il n’a rien perdu de sa voix à la fois profonde et aérienne. “No I don’t wanna fall in love”  et les chœurs répondent “This world is only gonna break your heart”. Pourtant on tombe quand même amoureux. Mais les derniers mots du morceau restent “Nobody loves no one”.  Étrange comme cette chanson d’amour triste et vénéneuse a le pouvoir d’apaiser le cœur d’un public. 

Mais pas le temps de philosopher, Chris annonce un quart d’heure rock’n’roll. Go Walk Down There termine en apothéose avec un solo de guitare de haute voltige. Le public exulte. Speak Of The Devil est une démonstration de maîtrise. On ondule sur un groove lancinant parfaitement emmené par le batteur Kenney Johnson. 

Ça joue fin, simple, sans fioritures et c’est diablement efficace. La première partie du concert s’achève par une reprise de Pretty Woman de Roy Orbison. Bien sûr, entendre cette chanson mythique interprétée par des pointures du genre est toujours un plaisir et le public se réjouit. 

On assiste alors à un changement de configuration. Tout le groupe vient s’installer sur des tabourets au devant de la scène. On sort les guitares acoustiques et l’interlude intimiste du concert peut commencer. Chris Isaak alterne entre folk et country pure. Le morceau Two Hearts se laisse porté par une rythmique au ballet et flotte sur les nappes d’orgues électriques de Timothy Drury. 

Cette parenthèse acoustique prend la forme d’un hommage aux idoles et amis de Chris Isaak. Il improvise un petit bout de My Happiness, la première chanson d’Elvis Presley, enregistrée au Sun Studio de Memphis. Ce n’était pas au programme mais les musiciens le suivent. Le groupe a décidé d’invoquer tous les vieux potes avec lesquels ils ont enregistré des disques dans ce studio mythique : Johnny Cash, Jerry Lee Lewis, Roy Orbison. Rien que ça. On aura donc droit à une reprise de Only The Lonely de Roy Orbison. 

Le morceau Dancin est une belle claque musicale, la guitare lead nous offre des solos à couper le souffle et habille chaque phrase avec une précision déconcertante.

Chris Isaak échange alors sa guitare pour la basse de Rowland Salley. Lumière sur ce dernier qui interprète une de ses compositions personnelles Killin The Blues, qui est selon Chris, la plus belle chanson d’amour jamais écrite. Cette partie du set se termine avec un dernier hommage : Can’t Help Fallin In Love d’Elvis. La boucle est bouclée.

Tout le monde regagne sa place initiale pour la dernière partie du concert. Après cet aparté acoustique, le groupe est bien décidé à faire remonter la tension.  Quoi de mieux pour repartir que Blue Hotel. L’autre chanson incontournable que tout le monde voulait entendre. Dès les premiers accords les fans embarquent pour un nouveau voyage bluesy aux sonorités qui tendent vers la surf music de Dick Dale. 

Les trois derniers morceaux s’enchaînent tambour battant et terminent le concert dans une ambiance intense et électrique. La lumière s’éteint, le groupe quitte la scène et tout le monde en veut encore. 

C’est donc l’heure du rappel. Des éclairages verts rallument l’auditorium. Le batteur martèle ses toms, des guitares alambiquées et des accords d’orgue frénétique pose une ambiance de science-fiction. Tout le groupe entonne des chœurs graves aux allures de chants tribaux. 

Toute cette cérémonie mystique est en fait l’intro du morceau Baby Did A Bad Thing. 

Chris Isaak revient dans un nouveau costume. Cette fois-ci, il est entièrement recouvert de plaques chromées. Il a réussi à faire encore plus scintillant.

Le riff bluesy entêtant est l’occasion pour tout le monde de se lâcher complètement. Des fans montent sur scène pour danser, les musiciens sortent leurs meilleurs plans à tour de rôle, Chris ajoute le thème de James Bond à la chanson. Public et musiciens, tout le monde prend son pied. 

Les deux derniers rappels sont des balades, l’atmosphère électrique retombe. On va pouvoir partir sur une note légère et détendue. Dernière surprise de la soirée, Chris honore un fan qui lui demande de jouer Blue Spanish Sky depuis le début du concert. Il nous offre cette chanson mélancolique comme un dernier cadeau avant de quitter la scène. 

Quelle belle soirée… 

Crédits photos : Montreux Jazz Festival, Lionel Flusin, Théa Moser

Julien Portenguen

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