La Covid a-t-elle (vraiment) changé notre manière de consommer la musique ?

Le frisson du billet acheté, l’attente avant le jour J, puis enfin, la communion avec l’artiste et toutes les personnes autour de soi. Ces sensations nous manquent. Et pour cause, voilà plus d’un an que les mélomanes sont privés de concerts et de festivals. Si la musique a été considérée comme « non essentielle » en ces temps de crise sanitaire, elle rythme pourtant le quotidien de milliards de personnes dans le monde. Sounds So Beautiful s’est interrogé sur l’impact de ce contexte inédit sur l’industrie de la musique.

Commençons par une première bonne nouvelle. D’après l’étude annuelle du Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), le marché français est resté stable, avec 781 millions d’euros. Merci, chers abonnés aux plateformes de streaming. Ce marché représente désormais la moitié du chiffre d’affaires annuel. Une grande première en France. La même croissance a d’ailleurs été relevée dans le reste du monde. Une bonne manière de contrebalancer la baisse des ventes d’albums physiques.

Aujourd’hui, Spotify rassemble plus de 350 millions d’utilisateurs mensuels, comptes gratuits et premiums inclus. L’acteur suédois a connu une hausse de 27 % de ses abonnés (et + 24 % pour les abonnés payants) au dernier trimestre de 2020. Sa place de leader est toutefois suivie de près par YouTube. Le géant est en effet plébiscité en Amérique et dans l’hexagone, comme le révèle une étude mondiale menée par Yougov. Le streaming est aujourd’hui la méthode favorite des moins de 35 ans pour écouter de la musique. Pratique et sans contrainte, d’autant plus avec une offre premium.   

Un marché d’abord essoufflé

Pourtant, les acteurs de ce marché ont sans doute eu quelques sueurs froides au début de la pandémie. Spotify, Deezer et Apple Music enregistraient en France une baisse d’écoute variant de 10 à 15 % lors des deux premières semaines du confinement. Un phénomène d’abord observé en Italie, premier pays européen à avoir pris des mesures drastiques contre la Covid. Il n’est pas difficile d’en déterminer les causes : baisse du temps passé dans les transports en commun, une organisation à mettre rapidement en place pour gérer le travail et l’école à la maison, la fermeture des salles de sport, peu d’activités différenciant la semaine du week-end…

Tout un panel de nouvelles habitudes à prendre. Ce temps d’adaptation a parfois relégué la musique au second plan, au profit des plateformes de streaming vidéo (+ 25 millions d’abonnés pour Netflix durant la première moitié de 2020). Certains préféraient même la radio à leur application mobile, afin de se tenir toujours informé de l’évolution de l’épidémie.

Les plateformes de streaming musical se sont alors peu à peu adaptées à la situation pour conserver leur public. Contenu pour enfants, podcasts d’information, playlists pour garder sa bonne humeur, pour rester à la maison ou faire plus facilement les tâches ménagères… Bonne humeur et solidarité étaient les maîtres mots des plateformes pour attirer à nouveau les utilisateurs. Pari réussi ! De plus, cette même envie d’évasion nourrie grâce au streaming vidéo a peu à peu réconcilié les Français avec l’écoute digitale.

Retour aux sources et musique « doudou »

Dans une étude commandée par Spotify, 86 % des Français sondés estiment que l’audio leur a permis de décompresser, de se détendre et de se divertir. En 2020, la musique n’était plus considérée comme un bruit de fond pour se tenir simplement compagnie. Elle était avant tout une fenêtre sur le monde. Elle est devenue un nouveau moyen de se rassembler et de se soutenir. Le nombre de playlists créées par des particuliers a en effet considérablement augmenté durant les confinements.

« Alors que de plus en plus de gens restent chez eux ces dernières semaines, nous avons vu l’écoute de la musique et des podcasts changer de différentes manières. »

Spotify, dans un communiqué

Le constat de Spotify se vérifie en observant la liste des artistes les plus écoutés en 2020. Au premier abord, pas beaucoup de surprise. Le rap et la pop urbaine concrétisent leur titre de valeur sûre pour l’Hexagone, avec des titres plébiscités pour les Français Jul, Hatik, Gradur, Heuss l’enfoiré, Ninho, Booba, Damso, Nekfeu et PLK. Chez les femmes, Aya Nakamura et Angèle occupent le haut du classement. Les superstars internationales telles que Bad Bunny, Taylor Swift, BTS, Ariana Grande, Billie Eilish, The Weeknd ou encore Dua Lipa ont elles aussi permis de vivre la crise plus sereinement.

En revanche, plus étonnant, les Français semblent s’être également tournés vers les classiques de la chanson francophone. D’après une étude Yougov/Spotify réalisée fin 2020, les chansons de Céline Dion, Johnny Halliday, Francis Cabrel ou encore Michel Berger ont en effet vu leurs écoutes augmenter. 49 % des Français ayant déclaré écouter des titres nostalgiques pour chasser tout sentiment anxiogène.

(Re) découvrir des classiques a sans doute apporté du réconfort aux auditeurs. Se replonger dans les paroles d’une chanson peut nous ramener à des souvenirs heureux, et pourquoi pas nous amener à reprendre contact avec les personnes concernées. Attention toutefois à ne pas plonger dans une trop forte mélancolie.

Néanmoins, les auditeurs du monde entier n’ont pas manqué d’autodérision et d’ironie pendant leur confinement. Le tube de The Police “Don’t Stand So Close To Me” a en effet enregistré une hausse d’écoute de + 135 % sur la plateforme Spotify. Un classique, et l’hymne de l’année…

Le digital à la rescousse

L’engouement de plus en plus fort pour le streaming musical part aussi de frustrations. Celle de ne pas découvrir de nouveaux artistes lors de festivals. Ou encore celle de voir ses concerts reprogrammés de mois en mois, ou tout simplement annulés. Un état d’esprit partagé par les artistes.

Les acteurs de l’industrie musicale tentent dorénavant de trouver des solutions pour contenter toutes les parties. Depuis plusieurs mois, les concerts digitaux semblent être devenus une norme. En France, Gims a par exemple offert en décembre 2020 un mégashow virtuel peu après la sortie de son dernier album. Hors de nos frontières, Dua Lipa a réussi son pari en novembre, avec 5 millions de spectateurs lors de son concert virtuel.

Gims a été l’un des premiers artistes français à sauter le pas du concert digital.

Ticketmaster, société spécialisée dans la vente et la distribution de billets de spectacles, a bien compris l’importance de ce business. Un tout nouveau service dédié à la vente de billets de concerts en livestream a été lancé. En août dernier, le show de Megan Thee Stallion a connu un vrai succès. Cet attrait s’explique par le manque de concerts, et le prix relativement peu élevé de ces billets (en moyenne, comptez moins d’une trentaine d’euros). Les internautes ayant payé leur place peuvent parfois y avoir accès plusieurs heures après la fin du spectacle.

Il suffit d’observer la success story de Veeps pour comprendre que ce phénomène pourrait perdurer. Cette solution de billetterie pour le livestream a été lancée en 2016 par les frères Madden, du groupe pop punk américain Good Charlotte. La plateforme a réellement émergé en 2020, avec plus de 1 000 concerts à son actif, et des spectacles d’artistes issus d’univers musicaux variés.

En janvier 2021, le promoteur d’événements Live Nation a même racheté Veeps pour équiper une soixantaine de salles américaines de ses technologies. Les concerts « phygitaux » seront donc toujours une option valable pour les artistes lorsqu’ils seront de retour sur scène. Se produire devant un public, mais également devant le monde entier, grâce à la magie d’internet.

Une nouvelle manière de créer

Se posent malgré tout quelques questions sur le long terme. Ces concerts pourront-ils être à l’abri du piratage ? Si quelqu’un visionne plusieurs fois une représentation, doit-on comptabiliser ses vues comme s’il s’agissait de spectateurs différents ? L’organisation n’est toutefois pas un frein à la mise en place de ces spectacles hybrides pour le moment. Les festivals deviennent de plus en plus digitaux.

« Habituellement, lorsque vous jouez cinq ou six chansons, vous vous tournez vers les plus populaires, pour que tout le monde se sente inclus. (…) En jouant dans un magasin vide et calme, je voulais présenter des chansons que je n’ai pas l’habitude de jouer »

Chance The Rapper

Les artistes tout comme les fans ont déjà exprimé leur envie de voir ces événements devenir pérennes, même après la reprise des concerts et spectacles vivants en présentiel. Ces représentations peuvent rappeler des sessions acoustiques plus traditionnelles et intimistes appréciées par les artistes comme par leur communauté.

Or, des performeurs ne se contentent pas d’une mise en scène épurée. C’est pour eux l’occasion de faire entrer davantage les auditeurs dans leur univers, comme ce fut le cas pour Chance the Rapper, lors de ses deux concerts virtuels. Plus que de simples chansons enchaînées les unes à la suite des autres, ce sont de véritables mini-films qu’il a offert à ceux et celles qui le soutiennent.

En tant qu’artiste indépendant, il a souvent eu l’occasion de mettre sa créativité au service de son art. Ici, c’est une autre facette de son travail qu’il a souhaité présenter au plus grand nombre. « Habituellement, lorsque vous jouez cinq ou six chansons, vous vous tournez vers les plus populaires, pour que tout le monde se sente inclus. Or, la marque Ralph Lauren est empreinte de nostalgie et d’intimité à mes yeux. Elle fait partie de mon histoire. En jouant dans un magasin vide et calme, je voulais présenter des chansons que je n’ai pas l’habitude de jouer », confiait-il à nos confrères de Vogue.

Dans un autre registre, les concerts digitaux ont également été l’occasion de célébrer les 25 ans de Pokémon pour l’entreprise The Pokémon Company. Parmi les artistes invités à la fête, citons entre autres Katy Perry ou encore Post Malone, et disons que sa performance avait de quoi (agréablement étonner).

C’est une immersion totale dans l’univers de la célèbre souris jaune : un avatar similaire à celui des joueurs dans le jeu mobile Pokémon Go, une mélodie qui rappelle les sons des jeux vidéo, et bien sûr, quelques-unes des créatures les plus célèbres pour admirer la prestation de Post Malone.

Ce mini-film d’animation est bien différent d’un concert traditionnel. Néanmoins, il rappelle que cette période est avant tout propice à la créativité et à l’imagination – et par conséquent, à l’évasion tant recherchée par les internautes. De plus, créer un contenu original autour d’une franchise si populaire est là aussi une manière de rassembler toute une communauté et de raviver le lien entre fans et artistes.

En général, la non-captation des livestreams les rend d’autant plus spéciaux aux yeux des fans et des artistes. Qui plus est, aucune jauge de spectateurs n’est vraiment définie à l’avance. C’est là tout l’enjeu pour les plateformes de livestreams : faire en sorte que les serveurs soient assez puissants pour que la réalisation et la diffusion des shows soient satisfaisantes pour tous, à la maison comme sur scène.

Les concerts digitaux sont donc une aubaine pour celles et ceux qui n’ont jamais eu l’occasion de voir leur artiste favori se produire sur scène. En 2020, ils se sont ainsi imposés comme la solution de secours pour les concerts annulés ou reportés en présentiel.

Appartenir à une communauté

Qui dit événement en ligne dit aussi visibilité accrue sur les réseaux sociaux. C’est sur ces supports que se trouve une grande partie du public. Bien souvent, assister à un concert digital est l’occasion d’en discuter ensemble, avant, pendant, après, et de partager son ressenti sur son expérience. Rien ne vaut les rencontres faites pendant un concert, mais l’essentiel est là. Avoir le sentiment d’appartenir à une même communauté. Ce sentiment d’appartenance est d’ailleurs encouragé par les artistes eux-mêmes.

Eux aussi sont à la recherche du contact avec leur public. L’échange se fait par l’intermédiaire de questions/réponses, ou bien via des sourires et regards complices lancés à la caméra. Mieux en vrai, mais tout de même réconfortant.

« Je souhaitais y participer pour soutenir l’industrie musicale, mais aussi pour moi-même. J’adore me rendre en concert et pouvoir voir des artistes sur scène. Je devais vivre ces deux concerts en présentiel, mais ils ont été annulés à cause de la Covid. J’ai trouvé que le show de Niall Horan était un peu court, mais ces livestreams m’ont permis d’y être pour un soir, bien que l’ambiance était différente. »

Julie, une habituée des concerts livestreams

Certes, visionner un concert digital, c’est aussi prendre le risque d’avoir affaire à des bugs, à une image floue ou bien à un son décalé. Il faut aussi compter sur une bonne connexion de son côté. En live comme en digital, fans et artistes ne sont pas à l’abri de désagréments techniques… Et c’est précisément ce côté authentique qui peut séduire. L’artiste descend pour un moment du piédestal qu’on lui a créé pour redevenir cet être humain passionné de musique, d’abord incertain face à la caméra, puis enthousiaste à l’idée de partager sa passion.

On se souvient encore de l’image improbable d’un John Legend en robe de chambre, encourageant ses fans à venir chanter avec lui dans un live Instagram…

« Une bouffée d’oxygène »

En attendant la reprise des concerts physiques, Sounds so Beautiful s’est rapproché de quelques fans ayant assisté à des livestreams. Alizée a par exemple participé aux concerts de Louis Tomlinson, Liam Payne et Niall Horan, ainsi que du groupe américain Jonas Brothers.

« Pour moi, c’était important de les entendre en live et de les voir ! Louis Tomlinson a reporté plusieurs fois sa tournée, et je désespérais de le « voir » en live un jour. Quant aux Jonas Brothers, ils sont les derniers artistes que j’ai vus en concert avant la Covid. Lorsque ces livestreams ont été annoncés, nous étions en hiver et à nouveau confinés… C’était une bouffée d’oxygène, et un contenu supplémentaire », confie-t-elle. Et même si elle a noté un « manque de cohérence » dans la manière dont les Jonas ont été filmés, elle ne leur en tient pas rigueur.

De nouveaux livestreams musicaux sont sans cesse disponibles sur Veeps.

Même chose pour Julie, qui a suivi les représentations de Niall Horan et M. Pokora. « Je souhaitais y participer pour soutenir l’industrie musicale, mais aussi pour moi-même. J’adore me rendre en concert et pouvoir voir des artistes sur scène. Je devais vivre ces deux concerts en présentiel, mais ils ont été annulés à cause de la Covid. J’ai trouvé que le show de Niall Horan était un peu court, mais ces livestreams m’ont permis d’y être pour un soir, bien que l’ambiance était différente. »

Un lot de consolation, mais avant tout un soutien mutuel entre public et artistes. Chaque jour, des livestreams continuent d’être programmés dans le monde. En France, professionnels et mélomanes devraient bientôt avoir quelques éléments de réponse sur la réouverture des salles. Un concert-test devrait en effet se tenir le 29 mai prochain à l’AccorHotels Arena, sous réserve de conditions sanitaires contraignantes.   

Mélanie Domergue

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