Cory Wong & Nile Rodgers, un feu d’artifice funky pour terminer le Montreux Jazz Festival (15.07.23)
C’est avec un petit pincement au cœur qu’on publie ces quelques lignes. Ça y est, le Montreux Jazz Festival se termine. ll faudra attendre un an pour retrouver l’ambiance et l’énergie qui gravitent autour de cet événement si spécial. Un peu dans le déni, on a laissé une semaine s’écouler pour faire redescendre les émotions fortes vécues au MJF cette année. Mais on a encore deux concerts à vous faire revivre. Flashback sur notre dernière soirée au festival.
Ce samedi 15 juillet 2023, c’est le dernier concert à être joué avant un bon moment dans l’auditorium Stravinski. L’année prochaine le festival sera déplacé hors du 2m2c pour cause de rénovation. Une soirée symbolique donc, pour dire au revoir à l’édition 2023 du festival, mais aussi à cette salle de concert mythique.
Mais avant d’anticiper ce qui va se passer l’année prochaine, il nous reste encore une dernière célébration. Chaque année, la soirée de clôture du MJF est réputée pour être très spéciale. Il s’agit de terminer le festival en beauté. On y était l’année dernière et le pari était réussi : on avait pu assister aux concerts d’Herbie Hancock et Jamie Cullum.
Au programme cette année, une énorme soirée funk en compagnie de Cory Wong et Nile Rodgers. Encore une fois, mission accomplie pour le Montreux Jazz Festival.
Cory Wong, le cool kid de la funk nouvelle génération
S’il y a un nom qui est partout sur la scène funk américaine depuis 10 ans c’est bien celui de Cory Wong. Il incarne la nouvelle vague de cette musique dansante. Son histoire commence à Minneapolis où il se fait un nom en tenant la dragée haute à la section rythmique de Prince lors de jams de remarquées. C’est comme ça qu’il est repéré par les membres du groupe Vulfpeck, qu’il rejoindra peu de temps après. Ensemble ils deviennent rapidement le groupe de funk le plus cool du moment. Impossible de ne pas s’ambiancer sur leurs morceaux.
On découvre alors le style inimitable de Cory Wong : une guitare rythmique au son clair, qui enchaîne les saccades chaloupées à une vitesse époustouflante. Le tout, toujours au service du groove. D’habitude on parle toujours des guitaristes lead et de leurs solos époustouflants. Mais ça c’était avant Cory Wong. Il a rendu ses lettres de noblesse à la guitare rythmique : c’est elle la star dans sa musique.
L’artiste est prolifique. En plus d’être un membre emblématique de Vulfpeck, le musicien écrit ses propres albums solos, et joue dans deux autres groupes : Cory Wong & The Wong Note et The Fearless Flyers. Avec tous ces projets en cours, l’artiste de 38 ans a déjà une discographie longue comme le bras. Ce soir, il vient nous en donner un aperçu en ouvrant le bal de cette soirée de clôture de haut vol.
Le groupe rentre sur scène avec la chanson Boombastic de Shaggy en fond sonore. Les “Mister Lover Lover ummm” font marrer le public pendant que les musiciens prennent place. La musique se tait et le concert commence en fanfare. En introduction, tout le groupe nous joue le thème de la 20th Century Fox, comme un symbole de l’immense show qu’on s’apprête à voir. C’est parti pour une heure et demie de funk survitaminée.
Le mot est bien choisi car le premier titre joué, Assassin, a un BPM complètement affolant. Une grosse funk de jeu vidéo. Tous les éléments du style de Cory Wong sont présents dès les premières secondes : rythmique de guitare funky accélérée, basse slappée, et cuivres ronflants.
Le plateau est équilibré, sobre et harmonieux. La batterie et le clavier sont sur le devant de la scène sur les côtés, la basse et la section de cinq cuivres sont à l’arrière sur des îlots surélevés. Tout au long du concert Cory ira de poste en poste pour interagir avec ses musiciens. Sur le fond de scène un logo à l’esthétique club disco des 80s domine le tableau. Cory Wong porte un ensemble en jean marbré de marques blanches, lunette noire, et sa guitare signature, une Stratocaster bleu pétrole au pickguard nacré. Tous les musiciens portent un costume kaki décontracté qui donne une vraie unité visuelle au groupe.
Les 3 premières musiques s’enchaînent dans un déferlement instrumental. Les morceaux ont volontairement été choisis pour maintenir un rythme frénétique. Welcome 2 Minneapolis nous offre tour à tour un solo de basse et une outro de guitare rythmique acide. Sur Bluebird les cuivres s’amusent avec des petites chorégraphies qui illustrent les nombreux breaks du morceau.


La chanson Team Sports marque un temps fort du début de set. Mais la star de ce moment n’est pas Cory Wong. Le batteur Petar Janjic s’illustre avec un solo monstrueux de presque deux minutes. On avait déjà remarqué sa frappe impeccable et son jeu de scène pétillant avec ses mimiques et ses grimaces qu’il adresse au public à chaque break. Mais là, son intervention est d’un autre monde. Les amateurs de technique et d’interprétation se régalent.
À mi-parcours du concert, Cory Wong change de registre grâce au morceau Meditation. Il nous offre une très longue intro à la guitare, et pour la première fois du concert il joue des solos qui dessinent une mélodie douce et envoûtante. Un moment de paix et de calme au milieu de ce tourbillon funky. Lorsque le reste du groupe rentre, le morceau nous emporte dans une belle progression instrumentale qui raconte une histoire apaisante. Les notes de guitares se teintent de reverb et de delay pour des passages planants qui nous donnent l’impression de flotter dans l’auditorium Stravinski. Une parenthèse délicate qui montre les nuances dont Cory Wong est capable.
Le morceau d’après remporte l’adhésion immédiate du public. C’est une reprise instrumentale du classique Benny And The Jets d’Elton John. Pour l’occasion, deux saxophonistes rejoignent le leader sur le devant de la scène car c’est eux qui vont jouer la mélodie du morceau. Encore une fois le batteur nous régale avec un groove parfait et des breaks fulgurants. Ce Petar Janjic est impressionnant.
La fin du concert offre un beau condensé de la funk de Cory Wong. Deux de ses plus gros tubes viennent ravir les fans de la première heure. D’abord le morceau St Paul puis Lunchtime. Une dernière fois, le poignet de Cory virevolte frénétiquement de haut en bas pour claquer des saccades sur sa Stratocaster. Les arrangements de cuivres soufflent des mélodies imparables.
La funk de ce groupe est hyper technique mais ne tombe jamais dans la démonstration inutile. Cory Wong est un compositeur futé qui laisse ses magnifiques thèmes s’exprimer sans en rajouter. On a rarement entendu des morceaux de funk instrumentale aussi finement orchestrés. C’est juste parfait.
Avant de partir, Cory Wong dédicace sa dernière chanson à Nile Rodgers. Une déclaration d’amour total à son ami et collaborateur : “He’s one of the most influential guitar player of all time”. La nouvelle génération de la funk paye son respect au grand maître de cette musique, et d’ailleurs c’est bientôt à lui de prendre possession des lieux.
Nile Rodgers, la machine à tube parfaite pour clore le festival
Tout le monde sait qui est Nile Rodgers. Depuis les années 70, c’est le maître incontesté du disco et de la funk. D’abord notamment avec son groupe Chic et leurs nombreux tubes. En 50 ans de carrière, le guitariste, auteur-compositeur et producteur, a laissé une trace indélébile dans l’histoire de la musique. Il a façonné la carrière de bon nombre de légendes.
Dans le sillage de ses nombreuses collaborations, Nile Rodgers laisse derrière lui des idoles internationales, des succès mondiaux, une pluie de récompenses prestigieuses. C’est comme s’il avait trouvé une formule magique pour créer des tubes à la pelle et faire briller n’importe quel artiste. Pas étonnant que son nom figure au panthéon du Rock & Roll Hall Of Fame et au Songwriters Hall Of Fame. Je ne vous cite tous les artistes et les chansons mythiques que Nile a produits car vous allez voir que le concert de ce soir en est un beau résumé.
Les membres de Chic arrivent tous ensemble sur scène. Le concert démarre par un discours de Nile Rodgers et une déclaration qui pose les bases du show “We play dance music, so we wanna see you dancing all night long. We are Chic and we’re gonna show you how we do it”.
Quoi de plus logique donc de commencer par un best of des chansons de l’âge d’or de Chic ? Le premier quart d’heure du concert sera un medley des plus grands tubes du groupe. Sans pause entre les morceaux, on enchaîne les hits funky qui font l’effet d’un flashback : Le Freak, Everybody Dance, Dance Dance Dance, I Want Your Love… Chaque chanson nous transporte dans un club disco des 70s.
La scénographie et l’esthétique du groupe également. L’écran géant du fond de scène projette le nom du groupe avec une typographie qui imite les effets d’une boule à facettes. Nile Rodgers a opté pour le look bling-bling du producteur new-yorkais qui a tout connu. Grosse lunette et beret Chanel. Les deux chanteuses qui se partagent le lead sont resplendissantes dans des robes de soirées en satin mauve.
Après cette exploration du répertoire de Chic on a le droit à la première pause du show. Nile explique sa volonté de ce soir. Il va jouer toutes ses chansons qui ont été numéro 1 des charts. On va donc avoir le droit aux meilleurs morceaux de nombreux artistes de légende.
C’est au tour de Diana Ross donc. I’m Coming Out et Upside Down font exploser l’ambiance dans l’auditorium Stravinski. Les nostalgiques des années disco sont au bon endroit ce soir. We Are Family sera l’occasion parfaite pour faire chanter le public.


Côté musical, le groupe a une recette imparable. Tout au long de la soirée on observe un équilibre parfait entre les rythmiques funky de Nile et les lignes de basses imparables de Milton Barnes. Le bassiste porte les morceaux et joue un rôle prépondérant dans cette dance music. Au milieu de cette base solide, les solos de cuivres viennent pimenter le tout, tandis que les voix de Kimberley Davis et Audrey Martells font honneur aux interprètes originaux des tubes qui vont être joués ce soir.
Un passage du set est dédié à Madonna. Nile Rodgers nous donne une leçon d’humilité :
“Quand j’ai rencontré Madonna, elle débutait à peine. Moi à l’époque je venais d’enchaîner six albums numéro un des charts… En composant son album je pensais tout savoir et je lui ai dit que le single devrait être Material Girl. Madonna a refusé et a insisté pour que ce soit Like a Virgin. Elle avait raison sur toute la ligne. Malgré mon expérience j’étais à côté de la plaque… C’est devenu l’un des albums les plus importants de ma carrière”.
Pour vérifier ses dires, on a donc l’occasion d’écouter en live trois des meilleures chansons de cet album. Le claviériste prend le lead vocal et nous offre une version inédite de Modern Love.
Tout au long du concert, on continue de progresser dans la carrière de Nile Rodgers. Il prend un instant pour nous parler de son actualité. L’âge d’or est passé mais 2022 fût une année bien remplie pour le musicien. Il a obtenu son 6ème Grammy Award pour le morceau Cuff de Beyonce. Il a également célébré les 10 ans de sa collaboration avec Daft Punk sur l’album Random Access Memories (3 Grammys) et a reçu son Lifetime Achievement Award dans la foulée. À 70 ans, Nile Rodgers n’a pas fini de marquer l’histoire de son empreinte.
On a le droit à un medley de ses chansons composées pour Daft Punk. Pour Lose Yourself to Dance le claviériste rejoint le leader sur le front de scène et joue une deuxième guitare rythmique pour reproduire l’arrangement si caractéristique du morceau. Le batteur Ralph Rolle brille aussi et nous lâche un rap inédit sur cette chanson.
Mais c’est sur le morceau Let’s Dance de David Bowie que celui-ci va remporter l’ovation du public. Après une longue intro interactive où il chauffe la salle à son maximum, c’est lui qui chante le lead sur ce morceau.
Les ressources de Chic sont multiples et le groupe fait ressortir tout le potentiel de chaque musicien pour adapter au mieux ces morceaux mythiques.
Pour la fin du concert, Nile Rodgers invite les fans des premiers rangs à venir remplir la scène et danser avec le groupe. C’est le morceau Good Times qui se chargera de conclure. Selon Nile Rodgers c’est la chanson qui résume l’essence de sa musique : “We stand for peace and good times”. Encore une ligne de basse mythique… Celle qui fut reprise par le premier morceau de rap de l’histoire : Rappers Delight de The Sugarhill Gang. Nile Rodgers ira même jusqu’à rapper le premier couplet à l’unisson avec le public.
Des chansons mythiques pour un concert blockbuster qui vient terminer un festival de légendes… Tout à fait logique non ? Le Montreux Jazz Festival se termine donc en beauté avec un show de Nile Rodgers & Chic qui met tout le monde d’accord.
Un immense merci pour cette édition 2023 inoubliable.
Crédits photos : Montreux Jazz Festival, Marc Ducrest, Lionel Flusin