Yaya Bey : Survivre en tant que femme noire

La poétesse sociale Yaya Bel sort Remember Your North Star, nouvel album engagé où elle explore la conditions des femmes noires sur fond de hip-hop, R&B et reggae.

« J’ai vu un tweet qui disait : ‘Les femmes noires n’ont jamais connu d’amour sain ou n’ont jamais été aimées de manière saine'”, raconte Yaya

“C’est une blessure profonde pour nous. Puis j’ai commencé à réfléchir à nos réponses à cela en tant que femmes noires…”

Se servir de son vécu comme support d’une critique sociale, voilà tout le talent de Yaya Bey : c’est avec charisme et assurance qu’elle se livre sur les épreuves auxquelles fait face une femme noire pour s’émanciper et s’affirmer. Née et élevée dans le Queens, elle se décrit elle-même comme une fille de la East Coast, du fait de ses nombreuses années passées à manifester à Washington et ses alentours. Déjà avec son premier album, The Many Alter-Egos of Trill’eta Brown sorti en 2016, elle se servait de son expérience de street medic à Ferguson pour dénoncer le racisme et les répressions policières.

Faisant suite au processus de guérison entamé avec Madison Tapes, Remember Your North Star réussit le pari de livrer une intimité crue sans pour autant perdre en fierté. « The pussy so, so good and you still don’t love me” chant-t-elle dans keisha.

Douée avec les mots, Yaya Bey l’est aussi avec les images : c’est elle qui compose les visuels de ses albums et de son merchandising. Ses collages sont d’ailleurs allés jusqu’à être exposés au MoCADA Museum de Brooklyn.

Les oppressions sur la femme noire

Chaque morceau est un ainsi un récit de sa vie, de son vécu, des ses peines comme de ses joies, de l’absence maternelle avec I’m Certain She’s Here à Pour Up, sont feat avec DJ Nativesun, qui nous emmène sur le dancefloor pour célébrer son propre désir. Le tout inspiré par le concept de biomythographie, de l’autrice afroféministe Audre Lorde, où histoire, mythe et biographie s’entremêlent pour raconter sa propre saga. La biomythographie, c’est avant tout un chemin qui ouvre vers la guérison et l’élévation de soi : l’histoire personnelle s’éclaire à travers le struggle collectif partagé par d’autres : on est plus le seul. L’élément mythique donne quand à lui une dimension symbolique à la vie, où le combat pour l’émancipation devient semblable à celui d’Hercule accomplissant ses Douze Travaux, et où chaque rencontres deviennent autant d’Ariane aidant à sortir du labyrinthe de l’oppression.

Photo par Lawrence Agyei

C’est aussi un autre concept afroféministe que Bey mobilise pour décrire sa situation : la misogynoir. Inventé et utilisé pour la première fois par l’universitaire canadienne Moya Bailey son essai They aren’t talking about me, il décrit les oppressions spécifiques que subissent les femmes noires, entre misogynie et racisme. Insultes, agressions mais aussi fétichisation et dévalorisation : Yaya Bay raconte ainsi par exemple comment, en tant que femme, un de ses copains empêchaient toute tentative de sa part pour voler de ses propres ailes et, en tant que personne noire, faire face au racisme systémique de la société américaine.

Un concept d’autant plus pertinent dans le milieu du hip-hop, dominé par une culture masculine qui à tendance à objectifier les femmes et à insister sur le pouvoir sur celles-ci. Une étude statistique montrait d’ailleurs que la présence de ces thèmes a augmenté en nombre dans les titres raps du Top 100 de la dernière décennie, et qu’en retour, normalisait une image dégradante de la femme auprès du public. Le hip-hop alternatif de Bey est ainsi porteur d’un message en opposition du rap dominant.

Capitalisme et minorités visibles

I will not have my life narrowed down. I will not bow down to somebody else’s whim or to someone else’s ignorance.

– bell hooks

Récits sensibles et engagements politiques se confondent, rappelant que la guérison personnelle passe aussi par la guérison du corps social. Remember Your North Star fait écho à ce besoin pressant de conscience sociale que partage la génération actuelle :

« I done worked my whole life and I still ain’t rich »,

pique-t-elle dans Nobody Knows, désabusée sur ses possibilités d’ascension sociale.

Là encore, ce vécu subjectif sert de support comme dénonciation politique : aux Etats-Unis, les femmes noires sont encore surreprésentées dans les emplois sous-payés, et souffrent d’un problème d’accès aux postes à hautes responsabilités.

Difficile donc de s’émanciper dans un pays à deux vitesses, qui enferme les minorités dans une pauvreté endémique qui ronge la vie. Un constat que dénonce des penseuses telles que Angela Davis ou Bell Hooks qui considèrent que racisme, sexisme et capitalisme sont intrinsèquement liées en un système de domination cohérent. Yaya Bey s’inscrit dans son époque en portant un message qui trouve un écho grandissant chez des jeunes de plus en plus politisés.

Remember Your North Star est disponible sur toutes les plateformes de streaming.

Bastien LAURENT

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