Tout ce qui fait le réalisme de Jewel Usain dans son Rap | “Mode Difficile” (Interview)
“Je ne me vois pas rapper quelque chose que je ne vis pas”
“Plus fort qu’hier“. C’est ce que disait Jewel Usain à son retour aux affaires sur Prequel 99 (2018), un projet qui mettait alors fin à deux ans d’absence. Aujourd’hui ces mots résument les 10 années de charbon traversées par ce MC d’Argenteuil depuis son tout premier projet l’Etranger à domicile (2011). 10 années d’efforts, de doutes et de remises en questions. 10 années pour bâtir une œuvre sincère, exigeante et à son image. Ceci, au gré d’une proposition musicale et visuelle affirmée où pleuvent les références d’une génération.
Aguerri mais conservant la fraîcheur d’un newcomer, Jewel Usain va très certainement franchir un cap avec son nouvel EP Mode Difficile.
INTERVIEW
- Ton nouvel EP « Mode Difficile » sort dix ans après ton tout premier projet « L’Étranger à Domicile ». Quel regard tu portes sur le chemin parcouru artistiquement ?
Jewel Usain : C’est vrai que ça fait 10 ans ! (rires) Je pense qu’il y a de quoi être fier. Il y a 10 ans, lorsque j’ai fait « L’Étranger à Domicile », je ne me voyais pas continuer à faire de la musique. J’étais clairement dans l’amusement le plus complet et je ne pensais pas avoir l’envie, la force mentale de continuer à faire de la musique 10 ans plus tard. Après ce n’est pas comme si j’avais eu 10 années de succès à la Booba mais c’est justement ça qui fait que je suis fier, je ne suis peut-être pas connu mais j’ai toujours envie, envie de faire de la musique.
- Il y a eu une période charnière dans ta carrière, c’est ce break entre « La rage au ventre » (2015) et « Prequel 99 » (2018). Tu es revenu dessus sur d’anciens morceaux comme « Le Biff » et « J’étais là », On a l’impression que cette période a vraiment été importante pour toi.
J : Exact, c’était sûrement l’une des périodes les plus difficiles de ma life. Au moment où j’ai sorti « La Rage Au Ventre » en 2015, clairement je n’étais pas très bien. Attention rien de comparable avec les gens qui passent par la dépression et qui ont de véritables problèmes. Simplement, je n’étais pas au top de ma forme parce qu’à cette époque j’avais signé un très mauvais contrat dans ce qui pour moi est une très mauvaise maison de disque et ça m’a porté préjudice sur les années qui ont suivi. J’ai accusé le coup pendant un petit moment. Ça a été le principal facteur au fait de ne plus sortir de musique et j’avais aussi très envie d’être focus auprès de mon fils.
- Avant de parler de l’EP, il faut qu’on parle de la cover, apparemment tu avais préparé ça depuis un moment ?
J : (rires) Tu sais moi je l’adore cette cover, notamment pour ça, je sais qu’on va m’en parler. J’avais ça dans la tête depuis presque 2 ans maintenant, ça a été dur de trouver quelqu’un pour la réaliser. Je suis allé voir plusieurs personnes et la plupart du temps c’était : « Ah gros c’est chaud, c’est une bonne idée hein mais c’est chaud ! » (rires) Pour moi ça a été une sorte de melting pot de toute mon enfance, de tous les films que j’ai bouffés pendant mon enfance et j’en ai fait ma propre métaphore si tu veux. Je suis né en 89 ça veut dire que j’ai vu des films, des gros navets, des très gros navets, des blockbusters d’avant mais extrêmement claqués, des trucs comme George De La Jungle, Last Action Hero, A La Poursuite Du Diamant Vert, des trucs d’il y a longtemps !
C’est ça qui a inspiré cette cover et puis, bizarrement, j’y ai trouvé un parallèle avec ma life. Bizarrement j’ai trouvé un parallèle entre ma vie et les éléments qui se trouvent sur cette cover. Tu vas retrouver le tigre, tu vas retrouver le serpent, des éléments qui pour moi ont une signification bien réel dans la vie … et bien entendu la femme qu’il faut sauver sur mon dos (rires). Parce qu’il faut toujours sauver une femme à un moment donné (rires).
- (rires) On va en parler de tout ça ! Quand tu parles de la cover et de ton enfance, je vois le clip de « Paw Patrol. » Il y a non seulement un rapport avec ton enfance mais aussi avec l’enfance de ton fils.
J : C’est bien vu. Ça faisait longtemps que je voulais faire participer mon fils à une de mes œuvres. Aujourd’hui il a 6 ans et on a enfin pu tourner une belle scène avec lui. Ce parallèle on le retrouve aussi dans le sens où nous on s’prend la tête, on est en mode difficile, on a fait certains choix, mais les enfants resteront dans leur insouciance, pour eux c’est quedal, ce que tu leur racontes c‘est quedal ! C’est ça que je voulais montrer dans le clip, moi je suis avec mes potes, je sors, il faut absolument qu’on fasse des pommes et à la fin quand j’ai mes pommes, ce truc qui a l’air si précieux, qui fait carrément office de monnaie et bien mon fils il la mange comme si c’était rien ! Il est dans une insouciance qui fait que pour l’instant pour lui c’est rien du tout.
- Quelles ont été les émotions qui ont drivé la création de cet EP ?
J : Je dirais que je suis passé par plusieurs moods, on peut le voir à travers les 10 morceaux bien qu’il y ait une émotion forte qui s’en dégage. Maintenant, la plus grande émotion c’est peut-être une sorte de notion d’injustice. Il y a une sorte de rage envers l’autorité. C’est sûr que quand tu prends « T’es qu’une merde », « Mode Difficile » ou même la fin du projet avec « En Plein Océan », il y a un seum contre le patriarche, contre le patron. Parce que moi c’est ça la vie que je mène, je ne suis pas rappeur à plein temps, je suis au travail, ce qui fait que la vie d’employé je la connais sur le bout des doigts. Je travaille depuis que j’ai 17 ans, aujourd’hui j’en ai 31. Je connais ça sur le bout des doigts ce qui fait qu’il y a un seum qui se dégage de tout ça. Parce qu’au bout d’un moment, quand tu travailles depuis autant d’années, toutes les entreprises sont les mêmes. Ils ont beau parler, avoir de beaux discours pour toi ce sont les mêmes et tu es dégoûté au final.
- C’était important pour toi de raconter ce quotidien sachant que beaucoup le vivent mais que peu en parlent ?
J : Ouais c’était important, franchement c’était important parce que je pense qu’il faut quelqu’un pour raconter la vie active, je pense qu’il faut quelqu’un pour raconter cette histoire de 35 heures par semaine (rires). De toute manière, je ne me vois pas rapper quelque chose que je ne vis pas, si je vivais une vie de Lamborghini, je te raconterais ça sans problèmes. Mais 35 heures par semaine ça veut dire que techniquement tu es autant au taf que tu es chez toi, donc forcément c’est ce que tu retrouveras dans mes écrits. J’en avais envie aussi à plus forte raison parce qu’au moment où j’ai écrit tout ça, je m’étais fait viré de chez Courir, pour un truc que je trouvais complètement injuste, après ça reste ma parole contre la leur. Mais voilà je m’étais fait virer et j’avais un seum. Je comprenais, en même temps j’accusais le coup et puis à un moment donné tu te dis : « tu sais quoi en vrai je m’en fous, je vais faire mon truc point barre ! »
« Je pense que je suis un peu fleur bleue finalement. Tu sais cette notion de romantisme, d’amour qu’on nous sert à la télé, qu’on nous sert dans les films, j’ai été très sensible à ça. »
- Tu as une écriture assez particulière, un style identifiable qui t’es propre. Est-ce que tu es plus de l’école puzzle de mots et de pensée où plutôt du thème bien précis ?
J : Je te remercie de trouver que mon style est reconnaissable, ça été long pour qu’il le soit donc je te remercie. Pour le coup, je vais dire mot et pensée. La plupart du temps les lignes me viennent de manière décousue dans la tête, je les écris dans un coin, je les laisse mourir pendant quelques semaines, et quand j’écoute une instru, je ressors mon bloc-notes en mode : « tiens j’avais pas écrit un truc qui est dans cette atmosphère-là ? Ah oui c’était ça », « qu’est-ce que je disais à propos de cette meuf là ? Ouais c’était ça ! Ok, vas-y cool cool. » C’est comme ça que j’écris, c’est vraiment de manière très décousue.
- L’un des thèmes qui revient dans ta musique c’est celui des relations hommes-femmes. On doit souvent te parler de « l’Etoile Et l’Araignée » qui est un de tes titres phares mais dans cet EP tu tiens une vraie tuerie avec « Malcolm & Marie » ! A mon avis ce titre va beaucoup faire parler.
J : Alors là c’est moi qui dois te poser une question ! Est-ce que tu penses que ce morceau va effacer « L’Étoile et l’Araignée » ?
- (rires) Justement j’allais te demander si tu voulais tuer « l’Etoile Et l’Araignée» avec « Malcolm & Marie » ?!
J : (rires) Gars je te check parce que vraiment c’était ma mission. J’ai hâte d’avoir l’avis des gens. Effectivement « L’Étoile et l’Araignée » c’est un morceau qui m’a un peu poursuivi, j’en suis vraiment fier mais c’est vrai qu’on m’a beaucoup ramené à ce morceau. Au final, je ne voulais pas que les gens restent bloqués dans le passé, j’avais envie de faire quelque chose pour dire ça y est ! Il est temps de re-marquer d’une pierre blanche une autre époque.
- Comment as-tu développé cette sensibilité pour ce sujet ?
J : Je crois que j’ai toujours été sensible à ça, c’est quelque chose qui me parle beaucoup. Je ne dirais pas que je suis … [il cherche] comment on appelle ça déjà ? comment il appelle ça les gens ? Fleur bleue ! Je pense que je suis un peu fleur bleue finalement. Tu sais cette notion de romantisme, d’amour qu’on nous sert à la télé, qu’on nous sert dans les films, j’ai été très sensible à ça. Après tu as le véritable amour celui que tu vas vivre toi pendant des années avec quelqu’un et c’est là que tu découvres toute la nuance, parce qu’à la télé c’est bien sympa mais dans la vraie vie ce n’est pas du tout comme ça (rires). Je vais même te dire, je crois que c’est pour ça qu’il y a des couples qui ne vont peut-être pas bien, c’est parce qu’ils se réfèrent à quelque chose qui est peut-être déjà faux dès le départ. Et c’est pour ça qu’ils y a des gens parfois qui vont penser qu’ils vont avoir des problèmes.
- Je voudrais revenir sur l’habillage sonore de cet EP qui est très riche. Presque à l’image de ton rap, les instrus suivent leur propre flow, on peut être dans quelque chose de brut comme avec « Kitano Ken », quand d’autres instants sont plus aérés, beaucoup plus chantés. Cette recherche musicale à quoi est-elle due et qu’est-ce qu’elle te permet d’exprimer ?
J : Encore une fois merci, je suis super content d’entendre ce que tu dis. La musicalité du projet, je la dois à Antoine Bodson, Madka et Mathias Raoul. Ce sont les trois personnes avec qui j’ai fait l’EP. Ce ne sont pas mes directeurs artistiques parce que ma direction je l’ai, mais c’est eux qui ont réussi à faire en sorte que ce soit aussi cohérent. Pour Antoine Bodson par exemple, on parle d’un gars qui a fait le conservatoire, ça veut dire que la richesse de la musique il connaît et c’est ça qui a fait qu’il a pu m’emmener aussi loin. Je pense à un morceau comme « NZT48 » par exemple, à la fin tu as les drums, les percussions, le refrain qui s’envole, ça tu ne peux le faire qu’avec quelqu’un qui connaît la musique. Sinon ça ne donne pas la même chose, ça ne serait pas la même chose si c’était trop hip-hop. Il y a quelque chose de pas toujours hip-hop dans certains sons, c’est beaucoup plus orchestral et ça vraiment sans le parcours musical de ces mecs-là je n’aurais pas pu le faire.
- C’est donc une affaire de famille ?
J : Ah oui clairement ! Antoine Bodson je travaille avec lui depuis des années. À la base c’était mon guitariste quand j’allais sur scène, ensuite il s’est perfectionné à la production. Madka c’est son cousin et Mathias Raoul, qui est mon ingé son, c’est un pote qui me l’a présenté. Donc en vérité c’est que des mecs qui se connaissent et maintenant c’est la famille.
« Est-ce que j’ai envie de devenir acteur ? J’ai l’impression que je ne veux pas me l’avouer ! J’ai l’impression que je me refuse de rêver à ce stade-là, alors qu’en vrai je kifferais. »
- Je voulais parler de la qualité visuelle de tes contenus, elle est souvent portée par ton jeu d’acteur, qui peut aussi bien aller dans le drame que dans l’humour. Même idée que sur la question précédente, qu’est-ce que cette recherche visuelle te permet d’exprimer ?
J : Franchement les clips c’est tellement important, [il insiste] c’est tellement important pour moi les clips. Dès fois je vois des kainrys avec v’la l’argent ils font des clips éclatés, je ne comprends pas (rires). Pour moi c’est trop important de faire un clip parce que c’est le prolongement de ton morceau. Par exemple, c’est mon avis mais je suis persuadé que si tu entends « T’es qu’une merde » et que tu ne le vois pas, ce n’est pas le même morceau. Je suis persuadé que si t’écoutes juste « T’es qu’une merde », tu te dis « OK c’est sympa », mais le package avec l’univers visuel fait que ça prend un autre niveau, tu es deux fois plus attentif à ce que tu es train de recevoir comme information et c’est en ça que les clips sont importants. Je ne sais pas si je réponds bien à la question mais en gros je le vois comme le prolongement des morceaux. J’aimerais faire un clip pour tous mes morceaux !
- Qui est ce fameux stagiaire qui place des notes dans chacun de tes clips et est-ce qu’il s’en sort bien ?
J : (Rires) Franchement le stagiaire on le fait cravacher miskine ! Je me demande comment ça se fait qu’il reste avec nous (rires) ! Je me demande parce qu’on lui fait la misère ! C’est quand même ouf, on a un stagiaire maintenant ! On a un mec qui veut bosser pour pas un rond c’est mortel (rires) ! Plus sérieusement, c’est un mec qui a la dalle et qui fait vraiment les choses carré, donc vraiment big up à lui parce qu’on est vraiment dans la période de rush pour lui.
- Tu as joué dans la web-série « Gabriel » et dans le film « Le Brio », est-ce que tu aimerais continuer dans cette voie ? A quel point le cinéma peut nourrir ton écriture ?
J : Franchement le cinéma a une énorme part dans mon écriture et dans mes concepts. Honnêtement, le nombre de références qu’il y a dans nos clips qui sont sortis de tels films, de tels trucs ! Alors est-ce que j’ai envie de devenir acteur ? J’ai l’impression que je ne veux pas me l’avouer ! J’ai l’impression que je me refuse de rêver à ce stade-là, alors qu’en vrai je kifferais mec ! Je kifferais, c’est juste que je suis très concentré sur la musique et que je n’aime pas trop m’éparpiller. J’aimerais d’abord atteindre mes objectifs musicalement et ensuite on se mettra peut-être à l’acting. Il y a ça et il y a aussi le doublage de voix qui m’intéresse énormément, c’est un des métiers de l’ombre qui m’intéresse beaucoup. Je ne sais pas peut-être hein … je vais essayer de garder une forme physique en attendant on ne sait jamais si on m’appelle pour Bad Boys 4 (rires), on verra bien.
- Le dernier film qui t’as mis une claque ?
J : le dernier film à m’avoir mis une claque c’est Uncut Gems ! Je suis un grand fan d’Adam Sandler, pour moi c’est un acteur-producteur-scénariste de génie. Le film n’est pas sortie au cinéma, c’est du contenu Netflix et franchement c’est un film de ouf.
- Dans cet EP un titre comme « NZT48 », qui fait référence au film Limitless(2011), me fait penser à des précédents titres comme « Bruce Lee » ou « Will Hunting ». Aussi bien chez Bruce Lee que dans les deux films, il est souvent question de l’expression, de l’exploitation du potentiel et de la réussite. Ce sont des choses qui te parlent ?
J : Complètement, je vais te sortir une phrase complètement cliché mais, jusqu’à une certaine mesure, je crois que tout est possible. Jusqu’à une certaine mesure parce qu’il ne faut quand même pas déconner, là tout de suite tu ne peux pas aller sur la lune comme ça si l’envie te prends (rires) ! Mais jusqu’à une certaine mesure, je pense que tout est possible.
- Dans « En Plein Océan » c’est ta première phase « j’suis convaincu qu’il n’y a rien d’impossible ».
J : C’est exactement ça, je pense vraiment que tout nous incombe, tout est question de toi et ta discipline. Ça c’est pour le côté Bruce Lee. Bruce Lee il représente une véritable discipline ! Alors je ne connais pas toute sa vie, peut-être qu’hors plateau il sniffait de la coke, ça je n’en ai aucune idée (rires) mais en tout en cas en interview il dégageait une discipline de fer, et je suis persuadé que sans discipline tu n’atteins pas le next level.
- A côté de ça il y a les contrecoups, dans « En plein océan » tu dis « tu rêvais d’océan, est-ce que tu le rêvais aussi grand ? Maintenant qu’on coule en plein océan ». Ça m’a rappelé « D’Amour Eden » où tu disais « on retomberait dans le même piège même si à des kilomètres on le voyait », aujourd’hui selon toi comment fait-on pour éviter ces fameux pièges ?
J : Comme je te le disais tout à l’heure, je crois que tu peux éviter ces pièges en ne te comparant pas. Là il est question de couple donc je dirais en ne te comparant pas avec le couple d’à côté. Tu éviteras bien des pièges si tu ne regardes pas la télé pour te dire : « oh putain il est venu la chercher à l’aéroport en hélicoptère ! » (rires)
- Dans ton univers il y a aussi le coté manga, outre « Kitano Ken » à qui tu fais référence dans l’EP, quel personnage de manga te ressemble le plus ?
J : Je suis sûr que je vais te sortir un nom et plus tard je vais me dire : « oh non ! En fait j’aurais dû dire lui ! » (rires) Mais là je dirais Mark Landers, c’est une référence que tout le monde peut avoir. Mark Landers, c’est la rage quoi ! Ce que je kiffe chez lui c’est qu’il a un truc c’est sûr, il sait jouer au foot mais il ne sait pas jouer au foot comme Oliver Atton. C’est un mec qui est très fort mais ce n’est pas un génie. Pour avoir le niveau des autres, il travaille deux fois plus et moi je me vois carrément comme ça. Je sais que je n’ai pas de facilités dans tous les domaines. Il y a des trucs où je suis nul, il faut dire ce qui est il y a des trucs où je suis éclaté ! Moi quand je vois des mecs ils ont 18 ans en mode : « ouais je suis à la prod et en même temps c’est moi qui écrit », je me dis « non sérieux ?! 18 ans tu fais tout ça ?! » Moi à 18 ans il fallait rien me demander ! Quand je vois tout ça je me dis que je ne suis pas du tout un génie, par contre je suis un vrai bosseur.
- Pour rester sur Olive et Tom, mon joueur c’est Julian Ross !
J : (Rires) Julian Ross ! Mais frère il avait un accent espagnol !
- (rires) Le gars était fort mais à cause de ses problèmes il n’a pas eu la reconnaissance qu’il méritait ! C’est d’ailleurs un aspect qui revient quand on parle de toi. Beaucoup disent « Jewel est sous-coté », « Jewel n’a pas la reconnaissance qu’il mérite». Toi-même tu disais dans « Groovy » (morceau issu de La Rage Au Ventre) « mais si les efforts payent j’suis sûr qu’ils ont paumés mon RIB ». Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est en train de changer, est-ce que tu as cette impression ?
J : Effectivement, j’ai l’impression que ça change. De toute façon, moi j’ai hâte qu’on dise que je suis surcoté, j’ai hâte que les gens disent « Jewel il est surcoté, c’est nul ! » (rires) Ça voudra dire que j’ai atteint des objectifs. Maintenant c’est vrai que je sens qu’il y a du changement, je sens que quand je m’adresse au gens il y a chaque jour un peu plus de personnes qui m’écoutent, il y a chaque jour un peu plus de personnes qui me répondent. Après certains abusent (rires) ils vont prendre des gens comme Lefa, ils vont dire sous-coté ! A partir du moment où il fait des disques d’or j’ai envie de te dire c’est bon je crois ! Pour moi c’est ok là non ?! (rires) Les gens abusent un peu de ce mot là mais effectivement je sens que c’est en train de changer.
« Je pense que mes proches savent que c’est au moment où j’écris que je suis le plus vrai. Je pense qu’ils savent que quand un son sort, il vaut mieux l’écouter attentivement parce que c’est sûrement là que je vais dire quelque chose que je ne dis pas dans la vraie vie. »
- Tu as souvent garder une place pour le storytelling dans ta carrière, précédemment tu as eu des morceaux comme « Triste Décembre » ou « Quatre Frères », dans ce nouveau projet tu as un titre comme « T’avais des rêves » qui est dans ce registre. A ce niveau-là on te prête souvent un lien avec Disiz. Quelles ont été tes influences ?
J : Quand les gens parlent de Disiz ils ne se trompent pas en vérité. Moi je me le suis pris en pleine tête comme beaucoup de jeunes à l’époque. Avec des morceaux comme « J’Pète les plombs », « Ghetto Sitcom », très vite on se disait : « ah ouais c’est ça le rap, raconter des histoires comme ça. » C’est devenu une base. Comme tu dis « Triste décembre » ou même « Rikudo », raconter des histoires je l’ai fait sur énormément de morceaux, parce que pour moi ça fait partie des disciplines du rap. Après à ce niveau-là tu as Médine, que je trouve incroyable, pour moi c’est le meilleur storyteller de France. Il suffit d’écouter « Kunta Kinte » ou « Petit Cheval » c’est chaud mec ! Je ne dirais pas qu’il m’a influencé pour ce qui est d’écrire des histoires mais en tout cas ça m’a poussé à le faire correctement. Après tu as Orelsan, qui racontent super bien les choses, il te raconte ça sans se prendre la tête comme s’il te parlait, je trouve ça très fort. Pour les US, tu as Eminem qui pour moi est une grosse référence. « Stan », « Cleanin Out My Closet », il a tout un tas de son où tu te dis : « putain c’est d’une précision quand même c’est chaud ! »
- Dans « NZT48 » tu racontes qu’une femme te reproche « d’écrire que vos deux cœurs sont en crise ». Dans ta musique beaucoup de personnages de ton entourage proche apparaissent. Quel regard ils peuvent porter sur ta musique ?
J : Je pense que mes proches savent que c’est au moment où j’écris que je suis le plus vrai. Je pense qu’ils savent que quand un son sort, il vaut mieux l’écouter attentivement parce que c’est sûrement là que je vais dire quelque chose que je ne dis pas dans la vraie vie. J’imagine que c’est comme ça qu’ils écoutent mes sons. Je ne le fais pas exprès mais quand j’écris ça sort en mode : « ça je ne pourrais jamais oser le dire à qui que ce soit mais sur la feuille ça marche.»
- Pour revenir à Will Hunting, parmi les scènes marquantes, il y a celle où Ben Affleck fait comprendre à Matt Damon qu’il n’a pas le droit de gâcher son talent,surtout, vis-à-vis des siens qui n’ont pas le moindre don pour se sortir de là où ils sont. Est-ce que tu te reconnais en ça ? Personnellement je retrouve cet aspect-là dans « Mode Difficile » quand tu dis « faut que j’fasse attention j’suis plus tout seul, personne ne nourrit sa mif avec des doutes ».
J : Clairement ! Il y a une forme de devoir. Toutes les personnes qui ont une quelconque capacité que ce soit athlétique, dans l’art si tu dessines super bien, si ton truc à toi c’est de calculer plus vite qu’une calculatrice et bien très bien ! Si tu as un truc, un talent particulier, tu te dois d’en faire quelque chose, au moins pour montrer une forme de reconnaissance vis-à-vis de tes parents, tu as une dette éternelle envers eux et il faut que tu la rembourse mec.
Quand tu prends conscience de ça tu te dis « mais je suis un ouf, je ne suis pas tout seul ! » Dès fois on est sur les réseaux à dire : « ouais vas-y de toute façon moi je suis un mec qui marche seul ! » (rires) On se la joue corbeau solitaire, alors que non frérot, t’es pas seul là ! Même la fois où tu t’es cru tout seul tu ne l’étais pas, ce jour-là tu es rentré chez qui ? T’es rentré chez ta mère, rappelle-toi. Quand il te reste au moins une personne, fais en sorte frère.
- Pour revenir au coté manga/anime, est-ce que tu connais « Erased» ?
J : Je connais mais pour le coup je ne l’ai pas vu. Je sais que c’est sur Netflix, j’en ai vu un autre qui s’appelait Your Name. Je n’ai pas eu le temps de regarder Erased mais il parait que c’est chaud.
- Sans trop te spoiler, on y parle de trouver « un trésor dans les années perdues » en ce qui te concerne je ne parlerais pas « d’années perdues » mais « d’années de recherche » qui t’aurais donné une nouvelle épaisseur.
J : Tous les jours j’essaie de me dire que je n’ai pas perdu mon temps. Tous les jours j’essaie de me convaincre que je n’ai pas perdu mon temps. Alors on ne va pas se mentir, la vie est beaucoup plus cruel que ça, plus fatale que ça et donc oui certaines fois j’ai beaucoup perdu mon temps. Certaines fois j’ai perdu mon temps et puis d’autres fois ça a été bénéfique. Mon gars Kidhao qui réalise mes clips dit souvent : « rien ne se perd, tout se transforme. » C’est une formule à laquelle on a adhéré dans l’équipe parce qu’il a totalement raison, toutes ces années de recherche et d’errance m’ont menées jusqu’ici, au fait qu’aujourd’hui il y a un gars au bout du fil qui me pose des questions ultra pertinentes parce qu’on a fait un boulot pertinent.
- Qu’est-ce que le 9901, c’est ton équipe, ta structure ?
J : Ouais exactement, c’est mon équipe et ma structure. Mais tu sais au-delà du nom de mon équipe, c’est une philosophie de vie. Je t’explique … ça va être un peu long (rires) ! Mais c’est une philosophie de vie et une fois que tu as adhéré à ça alors tout devient 9901. En fait, on est une grosse équipe de geeks et donc en tant que bon geek, nous on jouait beaucoup aux jeux vidéo étant jeunes. Dans les jeux vidéo de l’époque quand tu prenais du niveau tu partais de 1,2, 3,4 et ainsi de suite jusqu’à 99. Tu ne pouvais pas aller plus loin que 100, le 100 n’existait pas, la limite c’était 99. Seulement, quand tu prenais un niveau de plus le jeu te remettait à 01, tu arrivais à 01 mais en étant tout aussi fort, c’est comme ça que les jeux représentaient le 100 en fait. Pour nous, Le 99 c’est la fin, le 01 c’est le début et tout ça c’est une boucle, une boucle qui fait que tu prends toujours du niveau avec l’expérience de la veille. Cette expérience ne s’efface pas, même s’il faut toujours recommencer. Par exemple quand tu ressors un projet, un clip, un single, en vrai, tu recommences. Tu as bien sorti un morceau le mois dernier, mais chaque fois tu recommences parce que tu veux de nouveaux résultats. Pareil pour le nombre de followers, par exemple, qui augmente au fur et à mesure, tu recommences mais en partant du niveau de la veille. Le 9901 c’est une boucle, une répétition.
- Pour finir, est-ce qu’il y a quelque chose que tu voudrais qu’on sache sur toi ?
J : Je voudrais qu’on sache que je peux encore accomplir de grandes choses. A l’instant T, je donne Mode Difficile mais mon but c’est de devenir encore plus fort.
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