Le hip-hop engagé de Noname et la transe instrumentale d’André 3000 au MJF 2024.
Ce lundi 15 juillet 2024, les fans de hip-hop se réunissent au Casino de Montreux pour assister à une soirée qui réunit les générations.
Dans cette salle chargée d’histoire, on a rendez-vous avec une des révélations du rap américain de ces dernières années et un monstre sacré du genre.
La Scène du Casino offre une expérience intimiste, au plus près des artistes, pour une immersion totale dans les univers musicaux que la programmation propose.
Une configuration qui se prête bien aux deux noms à l’affiche ce soir, car chacun à leur manière, ils viennent partager un moment poétique avec le public.
On vous raconte cette soirée atypique.
Noname : la poétesse engagée nous livre un concert subtil et plein d’assurance
Fatimah Nyeema Warner a 32 ans et c’est sous le pseudonyme de Noname qu’elle secoue le monde du hip-hop depuis une dizaine d’années.
Originaire de Chicago, elle fait parler d’elle pour la première fois en 2013 grâce à une apparition remarquée sur un morceau de Chance The Rapper.
Il n’en fallait pas plus pour que la jeune rappeuse démarre son ascension fulgurante.
Noname est une artiste littéraire qui a passé son enfance dans la librairie de sa mère. Durant son adolescence, elle étudie la poésie et l’écriture créative avant de présenter ses propres textes dans les soirées open mic et slam de Chicago.
Guidée par les écrivains Afro-Américains dont elle s’inspire, l’artiste va progressivement devenir l’une des rappeuses les plus engagées de sa génération.
Ses thématiques privilégiées deviennent ses combats. Elle lutte contre toutes les formes de discriminations – par exemple contre les minorités, les femmes et la communauté LGBTQ+ – mais aussi contre le capitalisme impérialiste qu’elle exècre par-dessus tout.
Il aura suffi d’une première mixtape et de deux albums pour que Noname devienne une artiste politique qui suscite de nombreuses polémiques aux Etats-Unis. Dans sa musique, elle invite son audience à des réflexions profondes sur les travers de la société.
Dans son dernier album Sundial, elle n’épargne personne… Elle critique ses aînées comme Jay-Z, Kendrick Lamar, Rihanna ou Beyoncé pour avoir joué au Super Bowl qu’elle qualifie de propagande impérialiste. Elle critique certaines décisions politiques de Barack Obama. Elle démonte sa fanbase d’hommes blancs hétéro, et met le doigt sur ses propres contradictions en évoquant son concert à Coachella, symbole du privilège blanc.
Une artiste sans langue de bois, qu’on retrouve ce soir au Montreux Jazz Festival pour un live exclusif en Suisse.
Vu son univers, on aurait pu s’attendre à un concert explosif…
Mais il n’en est rien. Noname s’adapte à l’ambiance feutrée du Casino et livre un concert décontracté et apaisé.
Elle arrive sur scène accompagnée de quatre musiciens : une section rythmique basse-batterie, une guitare électrique et une choriste qui s’occupe également des habillages sonores à l’aide d’un pad électronique.

Noname commence fort avec le morceau Blaxploitation qui porte une énergie funk-rock. Le ton engagé est tout de suite donné car le morceau est une référence aux films de la contre-culture Afro-Américaine des années 70, explorant les stéréotypes de la communauté et son combat contre la discrimination.
Mais après ce début de concert énergique, ce qui marque dans la performance de Noname c’est sa décontraction et son assurance. Chanson après chanson, la jeune femme pose un flow chirurgical sans jamais forcer. Sur des instrumentales oscillant entre hip-hop old school et neo-soul, Noname rappe avec une attitude flegmatique et un naturel déconcertant. L’aisance de son flow
La vieille école du rap, voilà ce que l’artiste évoque sur scène. On ne sera pas original en relevant sa filiation évidente avec Erykah Badu, D’Angelo ou encore Lauryn Hill. Elle remet le rap des années 90 au goût du jour avec sa touche de modernité, aussi bien dans les thématiques que dans la musicalité.
Elle raconte ses échanges tumultueux avec J.Cole au sujet des injustices raciales sur la chanson Song 33. On vous l’a dit, la jeune artiste bouscule son milieu, et les grands noms du rap US.
Sur Song 32, Noname invite le public à rapper avec elle son refrain accrocheur :
“Yippee-ki, yippee-ki-yay, with the Noname
Started getting money from writing the haiku”
Elle confirme son statut de poétesse et le démontre en live en délivrant un passage a cappella dans la plus pure tradition du spoken word.
Plus tard, elle aborde d’autres sujets graves, comme la situation en Palestine et au Soudan. Mais à l’image de son concert ce soir, ses revendications s’expriment tout en finesse, comme sa musique.
Dans cette atmosphère intime, on a devant nous une Noname qui s’ouvre et partage son univers avec humilité.
Sur son morceau Bye Bye, elle fait chanter le public du Casino une dernière fois avant de laisser la place à une des grandes figures du mouvement dans lequel elle s’inscrit.
Noname nous quitte au terme d’un show hip-hop profond et authentique où l’artiste a fait preuve de son engagement avec une grande subtilité.
C’est maintenant au tour d’André 3000 de s’emparer de la Scène du Casino, et il va nous emmener loin… Très loin.
Le voyage musical d’André 3000 nous plonge dans une atmosphère spirituelle et méditative
André 3000 au Montreux Jazz Festival, c’est un événement. Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de voir le fondateur d’un des groupes de hip-hop les plus iconiques de sa génération.
Outkast ça vous dit quelque chose ? Les morceaux Ms Jackson ou encore Hey Ya ?
Voilà qui plante le décor de la carrière monumentale d’André 3000. Mais après avoir submergé la planète entière de son hip-hop novateur, le groupe disparaît de la circulation.
Dix-sept ans sans rien sortir… Les fans ont dû prendre leur mal en patience !
Imaginez alors la réaction quand André 3000 annonce la sortie d’un nouvel album solo fin 2023.
La nouvelle fait l’effet d’une bombe et tous les regards de la communauté hip-hop sont braqués sur lui. La star des années 90 est attendue au tournant.
La surprise est totale lorsque celui-ci livre un album de jazz expérimental ! André 3000 a laissé tomber le rap et a décidé de devenir flûtiste. L’album New Blue Sun est un opus purement instrumental qui prend la tournure d’un trip spirituel.
Les titres à rallonge des morceaux de l’album en témoignent, et prennent la forme de versets provocateurs qui revendiquent l’originalité du projet. Le premier sonne comme une mise en garde ironique pour les fans qui s’attendaient à du hip-hop : I swear, I Really Wanted To Make A ‘Rap’ Album But This Is Literally The Way The Wind Blew Me This Time.
On est prévenu donc… On sait à quoi s’attendre, mais néanmoins curieux d’assister à ce virage artistique à 180 degrés dans le cadre de ce concert au Montreux Jazz Festival.
D’un ton solennel, une voix off annonce le début du concert : “Lady and gentlemen, welcome to New Blue Sun Live”. L’expérience commence.
La Scène du Casino reste dans la pénombre quand André 3000 arrive sur scène avec ses musiciens. Le leader s’installe dans un étrange silence, il installe ses instruments, il tourne un peu en rond, s’accroupit, puis se relève… Pendant de longues minutes, on dirait qu’il s’adonne à un rituel minutieux qui ouvre la cérémonie à laquelle on va assister.
Ça y est, les musiciens commencent à jouer et habillent progressivement l’espace d’une ambiance sonore feutrée. Le plateau s’allume lui aussi progressivement, et on découvre un prisme de lumière qui trône au centre de la scène.

André 3000 se laisse alors aller à une transe instrumentale au cours d’un premier morceau qui s’étend sur les 25 premières minutes du concert. À mi-chemin entre des sonorités électroniques de science-fiction et des explorations instrumentales aux accents ambient et world music, ce début de concert affirme son nouvel univers musical complètement perché.
L’artiste a l’air d’un guru en plein voyage introspectif. Il jongle entre une multitude d’instruments à vent, notamment des flûtes amérindiennes et Maya ou encore des flûtes contrebasse. Lorsqu’il ne joue pas, il s’assoit parfois en tailleur comme pour méditer, il pousse des petits cris habités en regardant vers le ciel. L’ambiance mystique est totalement assumée.
Au terme de cette première partie de concert, André 3000 s’adresse au public et raconte la genèse de ce projet original. C’est au gré de sa rencontre hasardeuse avec le producteur Carlos Niño dans un supermarché que New Blue Sun a vu le jour. Une scène du quotidien qui prend un aspect d’appel prophétique lorsque Carlos l’aborde et lui dit qu’il savait que leur chemin allait se rencontrer pour créer cette musique d’un nouveau genre.
L’artiste parle aussi de l’aspect conceptuel du spectacle de ce soir : pas de setlist, tout est improvisé sur le moment. Il dit s’inspirer en direct des énergies présentes dans la salle. Comme une antenne, il capte les ondes du public, les réfléchit dans le ciel avant de les renvoyer dans la salle sous forme sonore. Après avoir expliqué cette part de spiritualité propre à son spectacle, l’exploration musicale recommence.
André 3000 pousse le délire expérimental jusqu’à parler au public dans une langue qu’il invente sur le moment. Une manière pour lui de jouer avec sa créativité sans limite ? Avec un sourire, il avoue avec un soupçon d’ironie : “I totally made this shit up right now, it’s a new language, let’s call it Kwigo”.
Dans le public, on vit un moment hors du temps. La musique instrumentale d’André 3000 invite à regarder ce qu’il se passe autour de soi. Certains spectateurs ont les yeux rivés sur les jeux de lumière psychédélique qui valorisent l’expérience irréelle que l’on est en train de vivre. D’autres s’assoient eux aussi en tailleur et ferme les yeux pour profiter du voyage.
Quoiqu’on pense du virage artistique d’André 3000, le concert ne laisse pas indifférent. Le show prend la forme d’une pause onirique, un instant singulier et reposant qui nous fait oublier le tumulte du quotidien.
C’est aussi ça le Montreux Jazz Festival… Un espace sacré qui affirme sa différence en laissant carte blanche à toutes les formes de créativité.
Crédits photos : Emilien Itim et Anna Francesca
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