Toutes les nuances de pop avec Paolo Nutini et Jessie Ware au MJF (10.07.24)
Cela fait déjà bientôt une semaine que l’édition 2024 du Montreux Jazz Festival bat son plein.
Ce soir, mercredi 10 juillet, on a rendez-vous à la Scène du Lac pour écouter deux grandes figures de la pop britannique de la fin des années 2000.
La programmation de ce soir est la preuve que la pop est un genre tellement large qu’il rassemble des univers musicaux parfois très différents.
Car on a bien affaire à deux popstars, mais dans des registres diamétralement opposés.
Retour sur une soirée riche de ces nuances musicales.
Jessie Ware et sa dance music décomplexée
Jessie Ware commence sa carrière musicale en 2009 en tant que choriste pour Jack Peñate. Ce dernier l’emmène partout en tournée avec lui, et elle acquiert une expérience de la scène qui lui donne les armes pour entreprendre sa propre carrière solo.
Quelques années plus tard, la chanteuse sort son premier album Devotion qui remporte un franc succès au Royaume-Uni.
Depuis, Jessie Ware enchaîne les albums bourrés de chansons aussi efficaces que dansantes et elle s’impose dans le courant disco pop aux côtés de stars comme Kylie Minogue, Katy Perry ou encore Dua Lipa.
En 2023, toujours dans la même veine qui a fait son succès, elle sort son dernier opus That! Feels Good!. Ce soir c’est la première fois que l’artiste foule la scène du Montreux Jazz Festival, et elle est là pour nous présenter ce nouveau projet aux productions léchées.
Elle commence d’ailleurs son show survitaminé par le morceau éponyme du nouvel album. Sur l’écran géant qui habille le fond de scène, les titres des chansons apparaissent sur des visuels à l’esthétique disco qui nous rappelle l’univers à paillettes des Bee Gees, d’Abba ou encore des Kool & the Gang.
On découvre alors la scénographie de Jessie Ware qui fait la part belle à la danse. En effet, peu de musiciens sur scène : seulement un batteur et un multi-instrumentiste qui jongle entre un clavier, une basse et une guitare selon les besoins des morceaux.

Ce qui habille vraiment le plateau de Jessie Ware, ce sont deux choristes sapés dans la plus pure tradition disco, mais surtout deux danseurs remarquables qui vont magnifier l’énergie de la chanteuse avec brio.
Ce qui frappe tout au long du concert, ce sont les chorégraphies millimétrées qui soulignent parfaitement l’univers de Jessie Ware : une disco pop énergique, résolument tournée vers les clubs et les dancefloors.
Les danseurs évoluent dans une esthétique vogue, un style de danse inspiré des poses des mannequins de défilés de mode. Au milieu de leurs danses acrobatiques et leurs expressions théâtrales, la diva pose son timbre de voix qui nous rappelle parfois les belles heures de Madonna.
Aussi bien visuellement que musicalement parlant, le show dégouline d’un glamour et d’une sophistication parfaitement orchestrée.
Au milieu du set, tout le monde sort de scène pour laisser Jessie et son claviériste seuls pour une parenthèse piano voix qui apporte de la nuance au concert.
La chanteuse profite de ce moment d’accalmie pour nous expliquer l’histoire de sa venue au festival. Elle devait jouer à Montreux l’année dernière mais l’artiste a préféré privilégier sa vie de famille et l’anniversaire de son fils.
Elle nous parle alors de la connexion qui s’est créée avec David Torreblanca, programmateur du MJF. Celui-ci la recontacte en 2024 pour rattraper l’occasion manquée en 2023. Cette soirée est donc l’aboutissement de ce travail de l’ombre.
Mais elle marque aussi un événement important dans la carrière de David : aujourd’hui il fête ses 20 ans au service du Montreux Jazz ! Pour le remercier et célébrer ce moment spécial, Jessie Ware lui dédicace son morceau The Kill, qu’il lui a demandé de jouer avant le concert. Un bel exemple des relations étroites qu’entretient l’équipe du festival avec ses artistes.
Après cet interlude tout en douceur, le concert reprend une tournure dansante et débridée.
Jessie Ware va même plus loin dans ses sonorités clubbing en présentant des arrangements de plus en plus électro et dance music. Parfois on entendrait même un peu de Disclosure dans sa musique.
Elle nous apprend une chorégraphie et nous fait danser sur son morceau Beautiful People. L’ambiance est à son comble lorsqu’elle nous offre une reprise de Believe, le titre emblématique de Cher.
De ce concert on retiendra aussi la volonté de transmettre son attitude décomplexée. Tout au long du set, elle répète ses appels à se décoincer : “Pleasure is a right !”. Pour enfoncer le clou Jessie Ware termine avec sa chanson Free Yourself qui synthétise cet état d’esprit.
Ce soir Jessie Ware nous fait une belle démonstration de son aura de popstar avec sa feel-good music. Sur scène elle résume sa personnalité exubérante ainsi : “I’m a lady, I’m a lover, a freak and a mother”. Une belle synthèse de ce personnage haut en couleur !
Paolo Nutini : le crooner versatile affirme sa nouvelle identité
En deuxième partie de soirée on attend avec impatience un artiste qu’on pourrait ranger à l’opposé du show que l’on vient de voir.
Paolo Nutini s’est forgé une image d’artiste mystérieux. Le plus italien des écossais est un oiseau rare et discret.
En 2006, son premier album These Streets le propulse malgré lui au rang de popstar internationale. Le jeune homme a alors 19 ans et possède un talent brut qui laisse présager une carrière monumentale. Dès ses débuts, il devient le chouchou de Claude Nobs qui tient à révéler cette pépite au plus grand nombre. Nutini fait donc sa première apparition à Montreux la même année et c’est le début d’une longue histoire d’amour entre cet artiste unique et le festival.
Après le carton des tubes comme New Shoes, Jenny Don’t Be Hasty ou encore Last Request, Paolo Nutini poursuit son bout de chemin sans jamais se reposer sur ses lauriers. On pourrait même croire que sa ligne conductrice est de déconstruire éternellement l’image que l’on se fait de lui. À chaque nouvel album, il se réinvente et surprend son monde.
D’abord avec Sunny Side Up en 2009, un album americana au son beaucoup plus vintage, qui va piocher dans des styles traditionnels tels que la country, la musique folk et le jazz.
Mais en 2014, c’est la consécration avec Caustic Love, un album soul qui sera numéro un au Royaume-Uni et qualifié par les médias comme “ce qui s’est fait de mieux depuis les années 70 et Joe Cocker”.
Au milieu de ce parcours admirable, Paolo Nutini ne rate jamais les grands rendez-vous à Montreux. En 2008, il performe au festival pour célébrer les 75 ans de Quincy Jones, et en 2014 il est aussi présent pour la soirée d’hommage à Claude Nobs.
S’ensuit une longue pause. Un silence radio de huit années, où l’artiste se retire, prend le temps de vivre pour se recentrer sur un quotidien plus normal dans sa ville natale de Paisley. Grâce à ce retour aux sources introspectif il acouche d’un dernier opus radicalement différent.
En juillet 2022, Nutini prend encore tout ses fans à revers en présentant Last Night in the Bittersweet, un album alternatif aux expérimentations prog-rock et post-rock. Bien sûr personne ne l’attendait là… Mais l’artiste confirme toute l’étendue de son talent versatile en s’accaparant un nouveau langage musical.
Un nouveau style donc, un nouveau son aussi, qu’il vient présenter encore une fois à Montreux sur la scène de l’auditorium Stravinski en juillet 2022, quelques semaines après la sortie de l’album. On était dans la salle ce soir-là pour être témoin de cette métamorphose qui à l’époque semblait à moitié assumée.
Deux ans plus tard Paolo Nutini est de retour au MJF, cette fois sur la scène du Lac, et on ne peut que constater que cette nouvelle direction artistique est désormais bien plus ancrée et revendiquée.
L’écran géant projette une phrase qui se répète en boucle pour l’intro du concert : “you’re so cool !”. Paolo s’installe sur scène dans la pénombre avec ses six musiciens. Le ton est donné d’entrée : l’ambiance saturée d’un morceau de rock progressif. Le crooner nous cueille à froid en attaquant par de puissantes vocalises rocailleuses caractéristique de sa signature vocale. Il empoigne un vieux téléphone à cadran rotatif et braille dans le combiné qui produit un son de mégaphone grésillant. Le show commence pied au plancher avec un Scream (Funk My Life Up) électrique.

Comme pour confirmer ce nouveau style, la setlist fait la part belle aux chansons du dernier album. On passe du rock-prog nerveux de Lose It aux mélodies désabusées d’Acid Eyes. Les visuels sur l’écran géant viennent dessiner le tableau de cette nouvelle esthétique : on passe de la lumière des néons d’un vieux motel aux couleurs psychédéliques d’un trip sous acide.
Mais Paolo Nutini n’oublie pas son passé pour autant. Il nous accorde des parties de concert ou il interprète ses ballades acoustiques qui mettent en valeur sa voix chaude et profonde. L’emblématique Candy par exemple, avec une version enrichie au niveau des accords, et un Through The Echoes interprété en groupe réduit sur le devant de la scène.
Ce qui est génial, c’est que tous les arrangements des anciens morceaux qui ont fait la gloire du crooner sont revisités pour correspondre au nouveau son plus alternatif. Par exemple, le très jazzy Pencil Full Of Lead devient une chanson post-rock ou les riffs de trompettes sont remplacés par des mélodies de claviers éthérés.
Paolo Nutini est du genre vieille âme, connu pour se réfugier dans sa bulle quand il chante.
Mais désormais le jeu de scène est naturel et décontracté. L’écossais rieur et ténébreux s’amuse et siffle tranquillement sa bière comme s’il jouait dans un pub de chez lui. Il nous emmène d’ailleurs à Paisley, sa ville natale, avec une version groovy de Stuck In The Middle With You de Stealers Wheels. Le groupe écossais emblématique des 70s vient de perdre son leader Joe Egan il y a quelques jours. Paolo lui rend hommage en reprenant sa chanson culte et intemporelle.
Le concert touche à sa fin et les musiciens quittent la scène avant d’accorder un rappel de quatre chansons.
D’abord un Let Me Down Easy aux sonorités lo-fi puis un Looking For Something tout en subtilité. Une manière pour l’artiste de fêter les dix ans de Caustic Love et une belle dédicace à sa mère, présente pour l’occasion. “We’re a long way home without you”
Paolo remercie les fans de le suivre dans ses nouvelles expérimentations : “Thank you for letting us doing our stuff, I know we sound different and I’m glad you’re here for that”
On profite une dernière fois de la voix inimitable du crooner écossais lorsqu’il nous délivre une intro a cappella magistrale sur l’immense tube Iron Sky. Le slow soul vient conclure un concert où Paolo Nutini a encore une fois démontré toute l’étendue de sa palette artistique.
Imaginez l’ambiance de folie quand l’animal débarque quelques heures plus tard dans l’enceinte du Memphis Bar pour une jam intime en petit comité…
On vous laisse sur les images de cette fin de soirée mémorable, et on se réjouit de vous raconter la suite de ce Montreux Jazz Festival 2024.
Crédits photos : Marc Ducrest, Lionel Flusin, Emilien Itim
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