Generation Sex & Iggy Pop : soirée Punk-Rock d’anthologie au Montreux Jazz Festival (06.07.23)
“Punk is not dead”.
Ce slogan iconique du punk britannique des années 1980 est toujours bien présent dans les esprits quarante ans plus tard. Tout particulièrement ce jeudi 6 juillet 2023 au Montreux Jazz Festival.
Aujourd’hui la scène de l’auditorium Stravinski accueille les pionniers de ce mouvement musical révolutionnaire. Un groupe de All Stars du genre, Generation Sex, et Iggy Pop, le pape américain de cette religion outrancière.
Sur le chemin du concert, une image donne le ton. Sur le rebord d’une fenêtre traîne un verre abandonné de la veille. Dans un fond de bière rance flottent une paire de boules quies et quelques mégots de clopes ramollis. On respire déjà la poésie punk.
Generation Sex, la crème de la crème du punk anglais
Pour vous parler de ce concert, commençons par un peu de contexte.
Prenez deux des groupes les plus emblématiques du mouvement punk britannique. Mettez les dans le shaker à cocktail d’un bar poisseux de Londres. Secouez… et vous obtenez Generation Sex.
Le chanteur iconique Billy Idol et le bassiste Tony James nous viennent du groupe Generation X. De leur côté, le guitariste Steve Jones et le batteur Paul Cook représentent le groupe le plus emblématique du mouvement : The Sex Pistols.
Un beau matin, ces quatre lurons ont la brillante idée de monter une formation pour ressusciter la folie décadente de leur jeunesse et ça donne Generation Sex.
On a donc rendez-vous avec la crème de la crème du punk anglais ce soir.
La scène du Stravinski somnole dans une ambiance bleutée. Un immense drap sérigraphié est pendu à l’arrière-plan. Tout en haut du visuel trône le logo du groupe. En dessous on distingue l’image d’un enfant en perfecto, casquette à l’envers qui tient dans sa main un crâne. Il regarde vers le ciel, souffle sur la tête de mort et un nuage de poussière s’élève. Faut-il y voir un symbole du concert ? Generation Sex est là pour dépoussiérer les vieux classiques de l’âge d’or du punk.
Le groupe débarque sur scène avec spontanéité. On dirait quatre potes qui se rejoignent pour une répète. Chacun s’installe puis ils se regardent comme si rien n’était prévu. Steve Jones s’avance sur le devant de la scène et claque le premier riff de guitare de la soirée. Et quel riff ! Le mythique Smoke On The Water de Deep Purple. Hommage à l’histoire du festival, cette chanson relate l’incendie du casino de Montreux en 1971. Le titre évoque la fumée qui s’est alors étendue au-dessus du lac Léman. Generation Sex est bien décidé à foutre le feu.
Après cette courte intro, les deux premiers morceaux s’enchaînent comme un coup de poing dans le ventre. Les rythmiques nerveuses et saturées remplissent l’auditorium. Billy Idol a sorti le perfecto clouté ce soir, et ses cheveux blonds délavés sont toujours aussi hérissés sur sa tronche de rockeur buriné. Tony James, lui, a une paire de Wayfarer noire clouée sur le nez qu’il ne quittera pas du concert.
On a le droit à un Ready Steady Go énergique ou Billy Idol montre d’entrée qu’il n’a rien perdu de sa voix gutturale. Il envoie avec aisance ses rugissements rauques, caractéristiques de sa signature vocale.
À la fin du 3ème morceau, Steve Jones demande au public comment ça sonne. Il pose la question avec un air rieur, comme s’il voulait s’assurer qu’on en prend plein la gueule. Après cette intro tonitruante, ne t’inquiètes pas Steve, c’est le cas.
Avant d’entamer le refrain plus pop du morceau Untouchables, Billy s’adresse aux fans de la première heure : “Cool to have you here remembering your school days”. En effet la salle est remplie de nostalgiques de la bonne époque qui viennent faire une cure de guitares saturées.
On entre dans le temps fort du show. Sur Black Leather, Steve Jones fait parler la poudre avec sa Les Paul Custom emblématique de ses années Sex Pistols. Il déchire ses cordes pour nous balancer un solo épique qui oscille entre des sonorités fuzz poussés à l’extrême et une pédale wah-wah qui vient tordre les notes. Jouissif.
Le morceau Kiss Me Deadly est une occasion pour Billy de dresser un tableau du Londres des années punk. La chanson, composée en 1977, dépeint le contexte insouciant, révolté et violent qui régnait dans les rues. Des histoires de baston avec des skinheads, de sexe adolescent, de parties de billard dans des pubs crasseux, d’école buissonnière…
Puis c’est l’heure de l’énorme tube Dancing With Myself. Dès les premières notes de guitares, le public exulte et la salle entière chante le refrain en chœur. L’histoire douce amère d’un pauvre punk qui danse seul en attendant l’amour devient une célébration générale. La température monte d’un cran dans l’auditorium et Billy Idol tombe le blouson en cuir. Le jeu de batterie de Paul Cook est plus sec et franc que jamais.
À la fin du morceau Steve Jones ironise : “Je crois que c’est une bonne chanson celle-là”. Puis il se plante royalement sur l’intro de la chanson qui suit. Tout le groupe se marre, et Steve plaisante : “Vous voyez il faut merder pour être bon”. Un authentique moment punk qui démarre comme un symbole la chanson Silly Thing.
Le morceau King Rocker s’inspire des mélodies pop des 60s qui s’expriment sur des roulements de toms déchaînés. À elle seule cette chanson est une tranche d’histoire : ce fût l’une des premières performances punks à être diffusé dans l’émission Top of the Pops sur la BBC en 1979. Quarante-quatre ans plus tard, on a encore la chance d’y assister en live au Montreux Jazz et ça fonctionne encore.
Le mouvement punk anglais a connu un âge d’or très bref des années 75 à 80. Mais ce soir encore on a la preuve que son héritage et sa culture perdureront pour toujours. C’est inexplicable, certains morceaux sont faits pour rester. C’est le cas de God Save The Queen, l’hymne provocateur des Sex Pistols. Quand les premiers accords résonnent dans l’auditorium, toute la salle pète un plomb.
Cette chanson est un gros doigt d’honneur à l’establishment, et la révolte contre le pouvoir établi sera toujours un thème fédérateur. Tout le monde scande le slogan punk “No future, No future for you” qui vient terminer ce moment de fête décomplexée. Pas d’avenir, vraiment ? Ces quelques mots semblent plus que jamais pertinents dans le contexte actuel.
Le concert est sur le point de se terminer et Billy Idol en profite pour faire un clin d’œil à Iggy Pop qui se prépare en coulisses. Les légendes se connaissent bien et Steve Jones a collaboré de nombreuses fois avec la star américaine.
Le dernier morceau commence avec une intro guitare voix. C’est une interprétation punk-rock de My Way de Frank Sinatra. Ou devrais-je dire une reprise de Comme D’Habitude de notre Claude François national.
Comme quoi, il y a du punk dans chaque chose ici-bas.
Iggy Pop, le pape mystique du punk américain
Trente minutes plus tard, c’est au tour de L’Iguane de prendre possession des lieux.
Le concert démarre dans le noir complet avec une instrumentale qui répand une ambiance inquiétante. Un coup de gong est frappé et les premières notes de basse résonnent.
Iggy Pop débarque tout sautillant sur scène et balance deux doigts d’honneur au public dès les premières secondes. Il se débarrasse tout de suite de son veston noir pour être torse nu sur scène comme à son habitude.
“Hey motherfuckers, kiss my ass”, c’est sa manière à lui de dire bonjour. Faut-il préciser que ce vieux gredin a 76 ans ? Mais dès les premiers instants, son aura bestiale le rendent immortel à nos yeux.
La première chanson Five Foot One nous permet de prendre la température. Ce soir, Iggy est venu avec une large formation. Sept musiciens l’accompagnent : basse, batterie, deux guitares, un synthé, et une section de cuivres composée d’un tuba et d’une trompette.
Dès le début il habite la scène et pose sa voix sombre. Le groupe est tout de suite à l’honneur, le leader passe de musicien en musicien et on a le droit à des solos successifs de guitares et de cuivres.
Les arrangements de tuba et de trompette sont surprenants et apporteront un groove inattendu aux chansons punk très binaire de la légende. Sa musique a évolué avec le temps et son rock débridé va aujourd’hui piocher par moments dans des sonorités plus rythm & blues.
Ça n’empêche pas le batteur de martyriser sa caisse claire sur le morceau TV Eye. Tous les temps sont frappés de manière frénétique et la chanson semble sprinter dans une course folle. Ce n’est que le début du concert mais on est déjà essoufflé.
En janvier dernier, Iggy Pop a sorti son 19ème album et nous présente Modern Day Rip Off un nouveau morceau issu de ce dernier. Sur ce titre et le rageur Raw Power, le synthé martèle son clavier pour créer une saccade aiguë et lancinante en arrière-plan de riffs lourds qui se répètent inlassablement.
“It’s fucking hot and smelly in here”, s’exclame Iggy. Bonne observation, et c’est justement pour ça qu’on est là.
Gimme Danger nous offre un autre pendant des talents d’interprète du chanteur. Sa voix se fait plus grave, plus posée et moins criarde. On entend l’influence de son pote David Bowie et sur certains passages on croirait l’entendre.
Le concert arrive à un point culminant qui ne retombera jamais avec trois morceaux cultes qui s’enchaînent. D’abord le plus pop de toute la discographie du vieux punk : Passenger. Il suffit d’une tourne de guitare pour que tout le monde se mette à sauter. Et bien sûr le public entier braille d’une seule voix les “La La La La” du refrain. Le groupe laisse la chanson respirer à la fin et réduit le volume pour laisser place aux chants des fans. Iggy se délecte de ce moment.
Ensuite c’est au tour de Lust For Life. Les écrans géants de l’auditorium Stravinski font mine de péter et dans une mise en scène à peine jouée Iggy demande “Oh shit what’s that ?”. L’intro met en avant une solide section rythmique avec un riff de basse et une batterie millimétrés. Tout le groupe soutient le refrain avec des chœurs soul et Iggy fait monter un gosse de 12 ans sur scène pour chanter avec lui. Tous les deux partagent le micro et ils scandent ensemble leur “envie de vivre”. Beau moment de transmission . Vous pouvez être sûr que ce gamin s’en rappellera toute sa vie.
Enfin on termine ce milieu de set d’anthologie avec Endless Sea. La batterie pose un rythme lourd, une basse et des synthés hypnotiques viennent s’installer par-dessus cette fondation. Tel un gourou déjanté, L’Iguane commence une danse mystique dont il a le secret. La guitare ajoute des saccades reggae et l’ensemble prend une puissante tournure prog-rock. Le morceau nous emmène dans un univers et une énergie flottante qui contraste avec le début du concert. Un instant de musique rare, teinté d’une beauté sombre.
Mais ce n’était qu’une petite parenthèse dans ce monde de brutes. La fin de la setlist est une véritable orgie punk. Quand on vient voir Iggy Pop en concert, on vient autant pour le jeu de scène que pour la musique. Sa réputation de showman outrancier le précède et ce soir on est servi. Sur les morceaux qui suivent, Iggy descend au contact du public, se roule par terre à la manière d’un Jim Morrison possédé. Il arpente la scène sans relâche, micro dans le froc, quand il ne s’en sert pas pour faire des gestes obscènes.
Iggy finit par se calmer et s’assoit sur le rebord de la scène. Il déclare d’un ton solennel que ces 50 dernières années, il a été malade la moitié du temps. Fait-il allusion à son combat contre l’héroïne ? À sa scoliose qui lui donne cette posture déboitée si caractéristique ? “It was easy to write this song : I’m Sick of You”. La chanson en question prend la forme d’une ballade où les cuivres sont omniprésents, donnant presque un accent jazz New Orleans au morceau. Mais le morceau finit fatalement par une explosion punk pleine de rage.
C’est bientôt la fin et Iggy Pop se met à aboyer. Main en avant, il se met à genoux sur scène et tire la langue comme un toutou. Avant même les premiers accords on comprend tous la référence. I Wanna Be Your Dog provoque l’hystérie complète. Tout y est, la petite clochette lancinante , le solo dévastateur joué par la guitariste sur sa fender Jaguar, le passage où Iggy fait chanter le public… Une scène iconique avant de terminer le concert par un autre tube nihiliste incontournable : Search And Destroy. Un pogo démarre dans la fosse du Stravinski pour conclure le bal en beauté. Iggy salue humblement la foule et le groupe se retire pour une courte pause.
Ils reviendront pour un long rappel de 4 morceaux qui feront la synthèse du concert. D’abord Mass Production et Nightclubbing. Deux morceaux de rock langoureux qui vont chercher des sonorités éloignées de l’univers punk. On entend du blues, du jazz, même un peu d’électro avec une batterie au drumpad. L’Iguane refait progressivement monter la tension avec une voix grave et une interprétation de crooner.
Mais trêve de plaisanteries, le punk reste le punk. On termine donc dans un chaos électrique et distordu avec Loose et Frenzy. Au terme de ce défouloir final, Iggy Pop et sa bande s’en vont pour de bon cette fois. Il distribue quelques derniers doigts d’honneur et balance le micro qui s’explose sur le sol de la scène. Il invite alors toute la salle à mettre les bras en l’air et secouer les mains. Il profite un instant de ce mouvement de foule avant de quitter la scène le poing en l’air. Ce mec est une putain de légende.
Sur le chemin du retour j’ai les oreilles qui sifflent. J’aurais dû mettre des boules quies pour ce concert. Mais comme je vous le disais au début de cet article, ils sont restés à flotter dans ce verre de bière abandonné. Avec des soirées comme celle-ci, je finirai sans aucun doute vieux et sourd avant l’heure. Mais dans le silence de mes oreilles meurtries, cette soirée punk-rock résonnera encore longtemps.
Crédits photos : Montreux Jazz Festival, Lionel Flusin, Marc Ducrest, Vincent Guignet