Tuerie, romancier du chaos intime : ce que « Les Amants Terribles » dit de lui, et de nous

Avec « Les Amants Terribles », Tuerie livre un album aussi personnel que déchirant, entre paternité bancale, chaos amoureux et quête de soi. À travers une introspection rare dans le rap français, il met en scène ses contradictions, ses traumas et ses espoirs. Une œuvre qui s’inscrit dans une nouvelle génération d’artistes qui parlent (enfin) d’émotions masculines sans fard.

Portrait de l’artiste : Tuerie, l’ovni sentimental du rap français 

Tuerie, c’est un paradoxe. Un nom sec, brutal, presque en contradiction avec ce qu’il dévoile en musique : un homme à fleur de peau, tiraillé entre amour et douleur, pudeur et confession. Originaire de Boulogne-Billancourt, le rappeur se fait remarquer dans le circuit indépendant avant d’être porté par le label Foufoune Palace. Sa première claque, Bleu Gospel qu’il sort en 2021, et qui est saluée pour son mélange singulier de rap introspectif, de soul habitée et d’écriture ciselée. Tuerie n’est ni un kickeur, ni un lover caricatural. Il est entre les deux. Un conteur de sentiments brûlés, de doutes nocturnes, de contradictions humaines. 

Ce qui fait sa réputation ? Son refus de choisir un camp. Tuerie rappe comme on laisse une note vocale à une ex qu’on aime encore. Sa voix est celle d’un homme qui parle à ses démons, et parfois à ses proches. Un style hors format, loin des codes dominants.

Après un EP marquant Papillon Monarque qu’il sort en 2023 et le Prix Joséphine qu’il remporte grâce à celui-ci, il revient finalement le 18 avril 2025 avec Les Amants Terribles, un album concept où l’intime devient politique, où le chaos amoureux sert de tremplin à une exploration de la santé mentale masculine.

Le contexte de l’album : un miroir pour les hommes d’aujourd’hui 

Les Amants Terribles ne choisit pas son titre au hasard. Il fait référence à Les Parents Terribles de Jean Cocteau, une pièce de théâtre classique qui explore les relations familiales complexes. Cette pièce captivante raconte l’histoire d’une famille dysfonctionnelle qui lutte pour maintenir leur façade de normalité alors que des secrets sombres menacent de les détruire. Tuerie transpose cette dramaturgie dans un univers contemporain : un couple qui s’aime trop mal, trop longtemps. Mais surtout, un homme en lutte contre ses héritages, ses penchants autodestructeurs, et ses doutes. 

L’album s’inscrit dans une tendance plus large : celle d’artistes qui osent parler de leur santé mentale. On pense à Euphoria de Krisy, Où les Garçons Grandissent de Jewel Usain ou encore Saison 00 de Luidji. Tous s’attaquent à cette même question : que se passe-t-il quand les hommes se mettent à parler, vraiment ? 

Décryptage de « Les Amants Terribles » : autopsie d’un amour toxique 

Tout commence avec un constat : Tuerie est accro. Pas à une femme en particulier, mais au chaos amoureux. Il l’avoue dans Maître Nageur :

« J’vais encore tomber amoureux d’une fille qui a le cœur mazouté. »

Un amour pollué, voué à l’échec mais irrésistible. Ce motif traverse tout l’album. Dans Sauve-moi, il se débat avec une relation toxique :

« Tu m’as refilé une MST mais j’vais pas pleurer pour toi […] Sauve-moi de toi. »

Entre colère et dépendance, l’album expose un homme en auto-sabotage. Dans Troll, il confesse ses contradictions :

« J’commence à tromper les filles qui me respectent, j’suis devenu un cocktail des hommes que je déteste. »

Il y a du cynisme aussi, notamment dans Lundi :

« J’pourrais fuck avec toi du lundi au lundi, c’est normal, té-ma la taille du culo. »

Mais derrière le ton cru, une boucle d’addiction affective se dessine. Un cercle vicieux d’amour mal vécu.

Ce que Tuerie nous révèle : un homme en reconstruction 

Au fil des morceaux, on découvre les failles d’un homme qui doute. Dans THE BORING SONG, il parle sans détour de son anxiété :

« J’aimerais te dire que tout est cool mais souvent mes idées noires pull up […] J’ai si peur d’être que l’ombre de mon vieux. »

Il évoque ses aller-retours chez la psy, son besoin de réparation. L’héritage paternel devient un poids, une crainte de reproduction. Mais c’est dans Carton, déchirante lettre à son fils, que Tuerie se livre le plus.

« Pardon mon fils, pardon / J’ai le cœur en carton / Même si j’dessine drôlement bien les avions. »

Le divorce de ses parents, la peur de reproduire les mêmes erreurs, les départs, les absences. Tuerie explore ici le pas invisible des hommes : ce qu’on transmet sans le vouloir.

Ce qu’on apprend de lui ? Qu’il est troublé, lucide, fragile, et qu’il le revendique.

Une ouverture sur le monde réel : les hommes aussi pleurent 

Parce qu’en 2025, les hommes ne pleurent toujours pas assez, et que Tuerie ose le faire pour eux. Parce que dans un rap souvent trop sûr de lui, il apporte le doute. Parce que parler de santé mentale, de trahisons, de thérapie, c’est politique. Et poétique.

Ses récits s’ancrent dans des réalités sociales : selon l’Observatoire national du suicide, les hommes représentent 75 % des suicides en France, et les pères de famille en rupture conjugale figurent parmi les plus vulnérables. Dans ce contexte, un album comme Les Amants Terribles devient plus qu’un projet musical : c’est un miroir tendu à toute une génération. C’est un disque qui dit : « je ne vais pas bien, mais j’essaie ». Et ça, c’est déjà immense.

Pourquoi écouter Les Amants Terribles ?

Parce que c’est un album qui parle à ceux qui aiment trop fort. Parce qu’il déconstruit l’image du rappeur invincible. Parce que Tuerie ne fait pas de la musique pour briller, mais pour survivre. 

Un disque à écouter seul, dans la nuit, en silence. Un disque pour ceux qui ont déjà dit « pardon » sans savoir comment faire mieux. Un disque qui ne sauvera pas le monde, mais qui, peut-être, aidera quelques hommes à se comprendre un peu mieux.